Aviation électrique : un cadre réglementaire à construire

A l'image de l'E-Fan, qui franchit ici la Manche en juin 2015, les aéronefs à propulsion électrique arriveront bientôt en opérations. Crédit : Airbus Group.
Alors que la propulsion électrique commence à prendre une place grandissante dans l’aéronautique, les autorités régulatrices se saisissent de la question.

Bien que l’aviation ait atteint une maturité technologique certaine avec le moteur thermique, nombre d’acteurs commencent à regarder plus loin. La propulsion électrique, qui permettrait de se dédouaner des contraintes écologiques et économiques du pétrole, fait naturellement partie des solutions étudiées. Elle était ainsi au cœur d’une soirée organisée fin novembre à Paris par l’Aéroclub de France, intitulée : « L’aviation à propulsion électrique : état de l’art et projets en France ». Les exposés présentés à cette occasion ont mis en évidence que si des évolutions technologiques sont nécessaires, c’est aussi le cas pour la réglementation. Celle-ci doit fournir un cadre adapté au développement de cette nouvelle forme d’aviation.

Cette nouvelle donne qui pourrait résulter de la propulsion électrique attire donc forcément l’attention des autorités de l’aviation. C’est le cas de la Direction générale de l’aviation civile française (DGAC), présente à la soirée par le truchement de Patrick Cipriani, directeur de la sécurité de l’aviation civile (DSAC). Lors de sa présentation, celui-ci a fait part d’un « fort intérêt » pour l’aviation électrique. Il y voit une solution rapide pour réduire l’empreinte sonore de l’aviation légère et, à plus long terme, une diminution des émissions de gaz à effet de serre de l’aviation commerciale.

« La DGAC a un rôle dans l’encadrement des projets expérimentaux mais aussi dans la réglementation. Nous avons donc réfléchi à l’intégration de l’aviation électrique », explique Patrick Cipriani. Afin de structurer son approche, il a défini quelques grandes questions : à quels types d’opérations ces aéronefs sont-ils destinés ? Si les premiers projets comme l’E-Fan se destinent à la formation et aux tours de pistes, à terme le transport de passagers n’est pas à exclure. Ensuite, selon quelles licences seront-ils exploités ? Cela pose le problème de la compatibilité du pilotage d’un avion électrique avec les licences actuelles et la possible définition d’équivalences. Quelles infrastructures seront nécessaires au sol ? La mise en place d’équipements de recharge et de stockage des batteries, ou plus tard des piles à combustibles, nécessitera ainsi des expérimentations propres.

Le directeur de la DSAC met néanmoins en garde contre la construction d’un cadre réglementaire trop en amont des développements techniques : « ce serait s’exposer à brider l’innovation et à se tromper de risques ». Il faut donc trouver un équilibre pour continuer à garantir la sécurité des vols sans tomber dans une approche trop prescriptive.

Propulsion électrique distribuée, décollage vertical, etc. L'aviation électrique est porteuse de nouvelles configurations innovantes (ici le Lilium Jet). Crédit : Lilium Aviation.
Propulsion électrique distribuée, décollage vertical, etc. L’aviation électrique est porteuse de nouvelles configurations innovantes (ici le Lilium Jet). Crédit : Lilium Aviation.

L’apport de l’aviation générale

Pour répondre à cette problématique, Patrick Cipriani souhaite s’appuyer sur l’aviation générale. Il estime que le développement de projets expérimentaux peut y être formateur pour l’ensemble de l’industrie et les autorités. « Il y a la possibilité de construire un cadre limité dans un premier temps, assez facilement et rapidement. Cela permet une approche progressive avant de passer à une réglementation générale. » Ce processus pourrait également être encadré par les autorités nationales, sous dérogation de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (Easa), contrairement à l’aviation certifiée. Ce qui pourrait faciliter une approche collaborative entre constructeurs et régulateurs. Ce à quoi Dominique Roland, tout nouveau chef du département Aviation Générale de l’Easa, semble plutôt favorable et annonce que des travaux ont déjà commencé avec la DGAC.

S’il semble à priori favorable au développement de la motorisation électrique, Patrick Cipriani craint en revanche qu’une trop forte disparité des projets nuise à cette construction. Il préconise donc d’identifier quelques programmes structurants dans un premier temps, afin de construire un cadre expérimental adapté : « Nous sommes prêts à aller vite sur des projets concrets. ». Selon lui, ce n’est qu’à partir de là que les autorités pourront bâtir leur réglementation. Il est rejoint par Dominique Roland, qui décrit « des projets [qui] partent dans toutes les directions ».

Innovations tous azimuts

En effet, si certains projets conservent des configurations relativement conventionnelles comme l’E-Fan d’Airbus ou l’hélicoptère Volta d’Aquinea, la motorisation électrique permet de nouvelles conceptions. Plusieurs projets dévoilés ces dernières années tranchent ainsi largement avec les architectures actuelles. On peut ainsi citer l’utilisation de la pile à combustible avec Keys1, la propulsion distribuée étudiée par l’Onera avec Ampere, les rotors basculants (ou « tiltrotor ») du projet Vahana d’A3 (filiale d’Airbus), ou encore le projet Lilium qui combine les deux derniers.

Dominique Roland y voit la possibilité d’un « monde complètement nouveau ». Il juge ainsi que, sans modifications importantes, la réglementation et les systèmes actuels sont incapables de faire face à cette évolution.

Au-delà des choix techniques, il ajoute que ces concepts vont favoriser l’introduction de nouvelles pratiques. La plupart d’entre eux vise ainsi le développement de la « mobilité à la demande ». Ce concept est synonyme de transport individuel largement automatisé, avec des appareils autonomes capables d’évoluer en milieu urbain. Si ce n’est pour l’instant que de la projection à long terme, cela nécessite une importante réflexion en amont pour savoir comment réguler ces nouveaux types d’opérations. Le chef du département Aviation Générale de l’Easa juge ainsi que « toute notre réglementation tombera par terre et que tout sera à reconstruire si un seul de ces projets aboutit ».

L'aviation électrique pourrait offrir de nouvelles solutions de mobilité urbaine (ici le Vahana). Crédit : A3 - Airbus Group.
L’aviation électrique pourrait offrir de nouvelles solutions de mobilité urbaine (ici le Vahana). Crédit : A3 – Airbus Group.

Besoin de catalyseurs

Dominique Roland estime donc qu’il faut fédérer l’innovation. L’Easa est en train de créer un projet « Propulsion électrique et hybride » pour y contribuer, et « ne pas se laisser dépasser ». C’est aussi le cas de la Fédération française aéronautique (FFA) avec la création d’un pôle dédié à l’aviation électrique sur l’aéroport de Toussus-le-Noble, au sud-ouest de Paris.

Comme l’explique Jean-Luc Charron, vice-président de la FFA, il s’agit d’y établir une flotte d’avions électriques avec le concept « Avion’Lib », mais aussi toutes les infrastructures nécessaires à leur exploitation. Le site accueillera aussi la formation à la motorisation électrique des pilotes et des personnels de maintenance. En complément, une structure fédérale doit voir le jour sur le modèle d’un FabLab (laboratoire de fabrication). Ouverte aux constructeurs, avec du matériel à disposition, elle doit servir à réaliser des essais opérationnels d’aéronefs électriques.

La FAA veut ainsi permettre une mutualisation des expériences entre les constructeurs, équipementiers, pilotes et personnels au sol et préparer la transition des modèles de fonctionnement. À partir de l’expérience accumulée, elle proposera ensuite un modèle pour faciliter l’introduction des avions à propulsion électrique dans les aéroclubs.

Lancé en 2015, ce projet a reçu le soutien de la DGAC, des autorités locales à commencer par la préfecture du département des Yvelines, de la Mairie de Paris et d’Aéroports de Paris (ADP). Sa localisation à Toussus-le-Noble doit permettre des rapprochements avec le pôle scientifique et technologique de Paris-Saclay. Elle doit aussi faire office de vitrine des avantages, notamment sonores, de l’aviation électrique pour les riverains de l’aéroport.

Les pouvoirs publics semblent donc bien décidés à prendre les problématiques de l’avion à propulsion électrique à bras le corps. Maintenant faut-il encore que leur approche et celle des constructeurs se rejoignent. Mais petit à petit, la propulsion électrique pourrait bien se répandre dans l’aviation générale dans la prochaine décennie avant de s’attaquer à l’aviation régionale. Et peut-être qu’à ce moment là, des aéronefs individuels électriques automatisés sillonneront le ciel des villes.

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