Vue de Berlin, la souveraineté européenne n’est acceptable qu’à condition que l’industrie allemande en tire le meilleur parti. Surtout, elle ne doit pas donner le beau rôle à Paris. Le parapluie nucléaire doit être américain plutôt que français. Pour que l’Allemagne y ait sa petite part industrielle, le bouclier antimissile doit être une alliance de carpes et de lapins américano-israélienne plutôt qu’un ensemble intégré franco-anglo-italo-polonais, mais pas assez allemand. Et ne parlons pas du Scaf, pour lequel l’excellence française, bien que reconnue explicitement dans le partenariat, n’en est pas moins intolérable.
Le spatial n’échappe pas à la règle. Depuis que Daimler-Benz Aerospace s’est fondu dans Airbus – et indirectement dans ArianeGroup –, les couleurs allemandes n’y flottent plus assez haut. À Brême, le petit poucet OHB a su en jouer pour se forger une image de champion national et s’imposer dans tous les programmes. Lauréat laborieux de la première génération de Galileo, il n’a pas hésité à aller en justice quand la Commission ne l’a pas choisi pour la deuxième génération.
L’Allemagne étant un État fédéral, la préférence nationale se double d’une rivalité régionale selon un axe nord-sud, avec la Bavière face aux Brêmois, dans laquelle l’intérêt collectif européen a bien peu droit de cité.
Dernier épisode en date, le ministre de l’économie allemand Robert Habeck a demandé à la Commission européenne de surseoir à l’attribution du marché pour la constellation de souveraineté numérique Iris2 au motif que le consortium retenu ne fait pas assez de place à des industriels 100 % allemands. Peu importe que ce projet soit vital et déjà en retard, quand Berlin ne gagne pas assez, elle ne veut plus jouer, quitte à faire perdre tout le monde.
Note : Que mes amis allemands se rassurent, en dépit de ce raccourci rhétorique, je ne réduis pas leur pays et leur culture à l’image déplorable qu’en donnent leurs dirigeants.