Constellations de souveraineté

UN:IO Souveraineté Constellation
Le concept UN:IO ferait appel aux liaisons intersatellites par laser développées par Mynaric pour la constellation de souveraineté européenne. Crédit : Mynaric.
La pandémie a démontré la dépendance aux moyens de télécommunications à haut débit. L’Europe ne peut pas laisser ceux-ci aux seules mains de systèmes privés pilotés hors de ses frontières et doit assurer sa souveraineté.

Un des sujets phare de l’année sera la constellation européenne de souveraineté poussée par Thierry Breton depuis son arrivée à la Commission de Bruxelles. Elle doit permettre à l’Europe de s’affranchir de constellations étrangères pour la gestion de ses liaisons sécurisées, notamment gouvernementales. Mais au-delà de ces applications institutionnelles elle doit aussi offrir une alternative pour les télécommunications commerciales afin de limiter les vulnérabilités de l’économie européennes, appelée à être dépendante des liaisons à très haut débit, de fournisseurs étrangers répondant à de intérêts stratégiques divergents.

Il lui faudra obtenir un soutien politique avant de traduire celui-ci en soutien financier. Ce sujet figurera donc en bonne place sur la table des ministres à Toulouse en février.

Quatre objectifs sont fixés : la fin des « zones blanches » avec un accès Internet à très haut débit pour tous les citoyens européens, la redondance des télécommunications terrestres pour assurer une résilience des télécommunications en Europe dans toutes les circonstances, la sécurisation des transmissions par cryptage quantique pour que l’Europe ne soit pas en retard sur les reste du monde sur ces technologies et sur sa cybersécurité, et enfin la réduction de la dépendance européenne envers les initiatives privées extra-européennes, avec au passage une ouverture de la connectivité en Afrique.

Le schéma envisagé pour démarrer le projet est celui d’un financement tripartite, réparti équitablement entre la Commission, les États membres et le secteur privé. Chacun devrait mettre de l’ordre de 2 Md€ au pot pour lancer le développement. Pour la part de l’ESA, une enveloppe d’environ 750 M€ sera proposée à souscription en novembre. Plusieurs États membres ont déjà planifié de possibles contributions au titre de leurs plans de relance nationaux.

Deux visions de l’industrie

Deux séries d’études ont été lancées auprès de l’industrie en 2021 pour définir les architectures de cette constellation. Une première série a été commandée en décembre 2020 à un consortium constitué par des opérateurs et des industriels « établis ». Pour des raisons pratiques, celui-ci s’est divisé en deux sous-consortiums, menés par les opérateurs rivaux SES et Eutelsat, qui mènent des études complémentaires en parallèle. Les résultats de cette première étude devaient présentés à la Commission en début d’année, à temps pour le sommet de Toulouse. Les deux consortiums menés par des start-up pour la seconde série d’études, sélectionnés en décembre 2021, rendront leur copie plus tard. Lorsqu’il sera temps de définir l’architecture finale de la constellation, il faudra prendre le meilleur des propositions.

Souveraineté
L’industrie européenne a démontré sa capacité à produire des constellations. Crédit : OneWeb.

Thierry Breton prévoit de présenter une proposition législative pour officialiser ce projet – qui n’existe pas encore au sein du programme spatial de l’Union – « dans les prochaines semaines ».

D’ores et déjà, il apparaît que cette constellation de souveraineté, qui devrait panacher satellites sur orbites basses, moyennes et géostationnaire, offrira parallèlement un service gouvernemental et un service commercial. Elle intégrera une dimension duale dès l’origine, pour répondre au mieux aux besoins militaires. Par sa dimension stratégique, elle devra être organisée avec la gouvernance appropriée et s’affranchir de toute dépendance envers des pays tiers.

Du travail pour tous

D’un point de vue industriel, la multiplicité des orbites et la nécessité de résilience pourrait amener à la sélection de plusieurs maîtres d’œuvres différents pour les satellites et le segment sol associé. Thierry Breton maintient l’objectif de 2024 pour le déploiement des premiers services.

« C’est ambitieux mais faisable », a-t-il insisté à Bruxelles.

Plus largement, le commissaire européen compte proposer une Stratégie spatiale et de défense européenne en 2023 qui permettra de cadrer les questions de gouvernance et de résilience de la chaîne d’approvisionnement pour les systèmes stratégiques. Elle s’inscrirait comme une conséquence de la « Boussole stratégique européenne » qui doit être adoptée en mars prochain pour faire le point sur les menaces et les défis auxquels l’Europe est confrontée afin d’y apporter une réponse collective et cohérente.

Copernicus en uniforme

La constellation souveraine n’est pas la seule que Thierry Breton souhaite développer sous un format dual pour y intégrer des impératifs de défense. Les satellites du programme Copernicus pourraient suivre la même voie, sur le modèle de ce qui existe déjà avec Galileo et son service gouvernemental crypté PRS (Public Regulated Service). Dans un premier temps, cela pourrait passer par la coordination de certains moyens nationaux existants, comme il y a déjà aujourd’hui des fournisseurs de données « de tierce partie » sur Copernicus. Évidemment, cette extension de Copernicus vers la couverture de besoins de défense s’affranchira de la règle actuelle de dissémination gratuite des données et doit être dotée d’une gouvernance adaptée.

Pour l’ESA, partenaire de la Commission sur Copernicus et qui met en œuvre le programme au profit de l’Euspa (EU Space Programme Agency), la référence à la défense pose un problème relatif à sa convention, ratifiée en 1975, qui la cantonne aux programmes civils. La genèse de Copernicus, lorsque le programme s’appelait encore GMES (Global Monitoring for Environment & Security) avait déjà touché aux limites du sujet en plaçant la frontière entre « sécurité » et « défense ».

À Bruxelles, Josef Aschbacher a cependant rappelé que, parmi les mandats que lui avaient confié les ministres au sommet de Matosinhos en novembre, figurait celui de faire « évoluer l’ESA ». Ce sujet pourrait donc être une piste pour retracer le périmètre de ses activités.

Sentinel Copernicus Souveraineté
Sentinel 1A, du programme Copernicus, est très proche des Cosmo-Skymed italiens dont la mission est duale. Crédit : ESA.

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