La coopération est un art difficile, surtout si on doit la faire à plusieurs. Et cette difficulté croît de manière exponentielle avec le nombre des intervenants. Parfois, il faut avoir le couteau sous la gorge pour parvenir aux nécessaires compromis. C’est ainsi que France, Allemagne et Italie sont parvenues à s’accorder sur la politique des lanceurs en marge de la conférence ministérielle de l’ESA. Afin d’éviter de polluer celle-ci avec le traditionnel psychodrame de leurs chamailleries, les ministres concernés ont préféré laver leur linge sale dans leur coin.
Qu’ils aient réussi à accorder est un indicateur de la gravité de la situation et de la crise qui menace le secteur des lanceurs. Au retard d’Ariane 6 s’ajoute la rupture avec la Russie. Le marché est désormais aux mains d’un Elon Musk dont les pratiques économiques, plus que technologiques, ont brisé les ressorts. Il fallait bien cela pour réussir à concilier avec pragmatisme la vision globale des Français, la vision nationale des Italiens et la vision régionale des Allemands.
On aurait pu croire que l’invasion de l’Ukraine par la Russie allait jouer ce rôle d’aiguillon sur les questions de défense européenne. Or c’est tout le contraire qui se produit. La vision française d’un élargissement à l’Europe de la souveraineté gaullienne est la conséquence logique d’une stature de puissance intercontinentale que seul le Royaume-Uni, parmi ses voisins, pouvait comprendre. Elle pousse à la construction et l’investissement de long terme.
Difficile de s’accorder avec une Allemagne confrontée à sa fragilité militaire, qui la pousse à acheter américain dans l’urgence, tandis que sa structure fédérale l’incite au clientélisme industriel régional et que sa pyramide des âges l’amène à tout sacrifier pour maximiser l’emploi afin de financer ses retraites. Avant de s’entendre avec les autres, elle doit d’abord s’entendre avec elle-même. Mais a-t-on le temps de l’attendre et surtout de soumettre la sécurité du continent à la versatilité du Bundestag ?