Euphémismes et tromperies

Edito
S. Barensky. Crédit : C. Deligey - Aerospatium.

Non, le vol inaugural du Spectrum n’a pas été un succès. Si l’objectif n’était que de décoller, pourquoi le second étage était-il réel ?

Pendant dix ans, j’ai aidé une agence spatiale à peaufiner ses éléments de langage pour sa communication de crise. J’en ai retenu quelques règles de base. Certes, on ne parle pas d’échec, afin de ménager ses propres équipes, mais on doit rester honnête envers le public (et le contribuable). On évoque des « anomalies » qui ont « empêché d’atteindre les objectifs », tout en se déclarant confiant que des solutions vont être trouvées pour pouvoir repartir d’un bon pied.

crédibilité
« L’allumage a été un succès, mais le décollage ne s’est pas concrétisé ». Magnifique euphémisme de l’agence spatiale argentine Conae après le tir de son démonstrateur VEx 1A en février 2014. Il se trouve que l’objectif de l’essai était la mise à feu, pas le vol, qui n’aurait pas dû dépasser quelques dizaines de mètres. Crédit : DR.

Pour engendrer la confiance et débouter les railleurs, rien ne vaut l’honnêteté et la droiture. Il faut assumer ses revers et poursuivre ses efforts, en y mettant un peu les formes.

Ce qu’il ne faut pas faire, même si c’est à la mode du moment, c’est du « storytelling », et clamer victoire après un échec. Appeler un échec un succès ne le transforme pas en succès, même si l’on est un Shadok ou Elon Musk. Ce peut être une leçon, mais ce n’est pas un succès. Et définir les objectifs après coup, c’est comme peindre une cible autour de la flèche qu’on a tiré, c’est se moquer du monde.

Le problème c’est qu’à ce jeu-là on perd toute crédibilité.

Perdre toute crédibilité en racontant n’importe quoi, c’est justement ce que vient de réussir l’administration Trump en annonçant des droits de douane prohibitifs contre le monde entier, en assurant qu’ils étaient non négociables, puis en les suspendant au bout d’une semaine « pour négocier ». Entre-temps, les marchés se sont effondrés et des fortunes ont fondu. Pire, les États-Unis sont apparus comme non-fiables, dirigés par des incompétents fantasques, ce qui découragerait plus d’un investisseur.

Et s’il fallait un signe d’une perte de confiance durable, le cours des bons du trésor américain, valeur refuge par excellence, s’est effondré lui aussi.

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