Déferlante de « fake news » sur le retour des astronautes de la Starliner

Crew 9 Starliner
Amerrissage de la capsule Crew Dragon Freedom avec à son bord les astronautes de la capsule Starliner Calypso. Crédit : K. Barber - Nasa.
Le retour de l’équipage de la capsule Starliner de Boeing à bord d’une capsule Crew Dragon de SpaceX a été l’occasion d’un impressionnant festival de couvertures au mieux erronées au pire mensongères de l’événement. Aerospatium tente un décryptage dépassionné de ce naufrage médiatique.

« Mentez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! » Rarement la maxime latine – erronément attribuée à Beaumarchais, Voltaire ou Goebbels – aura trouvé si parfaite illustration. Le retour des astronautes Barry Wilmore et Sunita Williams à bord de la capsule Crew Dragon de SpaceX, le 18 mars, a été largement présenté comme le « sauvetage organisé par Donald Trump et Elon Musk » des astronautes « abandonnés par Joe Biden » à bord de la Station spatiale internationale suite à « l’échec de la capsule Starliner ».

Ce n’est pas vraiment une surprise, mais tous les éléments de ce discours sont faux. Ils n’en ont pas moins été largement diffusé par des grands médias ou des « influenceurs » reprenant la rhétorique d’Elon Musk et de la Maison Blanche sans le moindre esprit critique, voire la plus basique compréhension de la réalité et de la logique des événements. Nul doute que ce mensonge éhonté hantera encore longtemps l’imaginaire collectif.

Reprenons le déroulement des événements.

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Sunita Williams et Barry Wilmore, lors d’une répétition avant leur envol à bord de Calypso. Crédit : F. Micheaux – Nasa.

Premier vol de la Starliner avec des astronautes

Les astronautes Barry Wilmore et Sunita Williams ont décollé de Cape Canaveral le 6 juin dernier à bord de la capsule Starliner Calypso, pour un vol de qualification, c’est-à-dire destiné à vérifier que celle-ci répond bien à toutes les spécifications et à identifier tous les éventuels petits problèmes qui demeurent toujours lors de l’entrée en service d’un nouvel appareil. Comme il s’agissait d’une mission financée par les contribuables sous la responsabilité d’une société cotée en bourse (ce que SpaceX n’est pas, rappelons-le), une grande transparence était de mise.

Lors de son trajet vers l’ISS, la Calypso a connu des dysfonctionnements mineurs, avec principalement une fuite dans des circuits d’hélium, d’un débit négligeable et ne mettant nullement en danger la suite des opérations. Des surchauffes ont aussi été constatées sur plusieurs moteurs d’orientation et de manœuvre de son module de service (OMAC : Orbital Maneuvering & Attitude Control engines), mais ils ont pu être isolés et remis en service ultérieurement.

La Nasa souhaitant en savoir plus sur ces surchauffes de moteurs, la mission de la Starliner, qui ne devait durer que huit jours à la base, mais était potentiellement « ouverte » sur plus d’un mois et demi, a été prolongée pour mieux étudier ses performances et réaliser des essais au sol pour tenter de comprendre l’origine de ces surchauffes. En effet, situés sur le module de service, les moteurs suspects (cinq sur un total de vingt), ne seraient pas récupérés en fin de mission car ce module est largué au retour et se désintègre dans l’atmosphère.

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La capsule Starliner Calypso amarrée à l’ISS. Crédit : B. Wilmore – Nasa.

Pour mémoire, ces moteurs OMAC de 6,7 kN de poussée ont été développés par Aerojet Rocketdyne, l’un des plus vieux et plus prestigieux motoristes américains, récemment racheté par l’équipementier L3Harris. Outre les OMAC, le module de service comporte 28 propulseurs RCS (Reaction Control System) de 380 N pour les manœuvres fines et quatre moteurs de RS-88 de 180 kN pour le système de sauvegarde au lancement. Tous ces moteurs sont biergols. La capsule elle-même comporte douze moteurs monoergols MR-104J de 440 N pour le pilotage durant la rentrée atmosphérique.

Mais ces considérations logiques et raisonnables ont été balayées par les réseaux sociaux qui y ont vu l’occasion d’un « Boeing-bashing » facile et la rumeur s’est propagée que la capsule pourrait ne pas être en état de revenir et que les astronautes seraient « naufragés » à bord de la station. Évidemment, tous les adorateurs d’Elon Musk ont alors pu s’en donner à cœur joie, relayés par les médias généralistes ne comprenant pas la situation.

De la technique à la politique

Un premier problème s’est posé avec les essais des moteurs au sol, au cours desquels il n’a pas été facile de reproduire les surchauffes mesurées en vol, alors attribuées à la conception des pods qui leur servent de logement et qui auraient tendance à se comporter comme des thermos, en n’évacuant pas assez la chaleur. Mais lorsque les moteurs incriminés ont été testés de nouveau en vol, ils ne reproduisaient plus les surchauffes ! Pour la Nasa et Boeing il est apparu que le fond du problème, qu’il vienne des moteurs ou des capteurs de température, n’était pas parfaitement compris. Toutefois, compte-tenu des redondances, il ne présentait pas de danger pour le retour des astronautes.

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Essai à feu d’un moteur du même modèle que ceux équipant la Starliner. Crédit : Boeing.

C’est à ce moment là que la décision a cessé d’être technique pour devenir politique.

Avec le remplacement de Joe Biden par la vice-présidente Kamala Harris, à la tête du National Space Council, comme candidate démocrate à la présidence le 3 août, l’affaire a pris un nouveau jour. En effet, si le retour de Barry Wilmore et Sunita Williams ne présentait qu’un risque technique très limité, la perception de ce risque par le grand public abreuvé de « Boeing-bashing » par les réseaux sociaux pouvait être montée en épingle comme une arme politique contre la candidate démocrate.

Après d’âpres discussions en interne, la Nasa – elle même déchirée par la querelle entre les pro et les anti-Musk – a décidé de faire revenir la capsule Starliner à vide pour qu’on ne puisse pas lui reprocher d’avoir fait courir des risques aux astronautes. De fait, grâce aux redondances à bord, ceux-ci n’en couraient aucun et la capsule est parfaitement venue se poser à White Sands, au Nouveau Mexique, comme prévu et sans incident, le 7 septembre.

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La capsule Calypso s’est séparée de l’ISS après trois mois. Crédit : Nasa.

Starliner dénigrée depuis le début

La capsule Starliner de Boeing a subi les assauts des supporters d’Elon Musk depuis le début du programme. Son pêché originel était de ne pas être une création du New Space et de reprendre l’architecture aérodynamique d’Apollo, preuve qu’elle n’était pas assez innovante. Lorsque les contrats de développement ont été attribués en 2014, elle a reçu un plus gros financement que la Crew Dragon (4,2 Md$ contre 2,6 Md€), ce qui a été violemment dénoncé par les partisans de SpaceX. C’était aussi oublier un peu vite que les deux contrats ne couvraient pas la même chose : là où SpaceX devait rendre compatible avec le vol habité une capsule déjà développée et qualifiée au préalable (pour 2 Md$), Boeing devait faire les deux développements en une seule fois.

Autre énorme différence, SpaceX est une société privée au financement opaque alors que Boeing, cotée en Bourse, se doit de se justifier publiquement lorsqu’elle rencontre des difficultés ou est contrainte de passer des charges, ce qui est arrivé à plusieurs occasions. Lorsque le contrat pour la Crew Dragon a été attribué à SpaceX, Elon Musk annonçait que la nouvelle capsule serait opérationnelle sous dix-huit mois. Il lui a fallu quatre ans pour parvenir à la qualification. Nul, hors de la société, ne sait combien ce retard lui a coûté. Au passage il a tout fait pour dissimuler la violente explosion d’une de ses capsules lors d’un essai de pressurisation le 20 avril 2019.

Dans le même temps, toutes les difficultés de Boeing ont été largement rapportées dans la presse. Le premier vol de Calypso, en décembre 2019, a été ruiné par un problème informatique qui aurait été rapidement résolu après le lancement si un équipage avait été à bord. Elle est néanmoins revenue se poser en parfait état, comme prévu à White Sands, au Nouveau Mexique, après une mission écourtée. L’autre capsule a rejoint l’ISS en mai 2022 et est revenue atterrir, elle aussi, sans difficulté. Avec ce troisième atterrissage, le deuxième pour Calypso, la Starliner a essentiellement démontré que sa conception est robuste et qu’elle sait atterrir, là où la Crew Dragon ne sait qu’amerrir.

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Les équipes de Boeing et de la NASA sécurisent la capsule Calypso après son deuxième atterrissage à White Sands. Crédit : A. Gemignani – Nasa.

Ni abandonnés ni sauvés

À bord de la station, Barry Wilmore et Sunita Williams n’ont pas été abandonnés. Les deux astronautes chevronnés, ayant déjà passé respectivement six et onze mois à bord lors de missions précédentes, ont été intégrés à la rotation normale des équipages. La capsule Crew Dragon de la mission Crew 9, Freedom, a été lancée avec deux sièges vides pour qu’ils puissent les occuper au retour, celui-ci étant alors prévu en février, après les élections et l’investiture présidentielle, afin de ne pas peser dans les débats.

Quand Elon Musk déclare que les astronautes sont restés sur orbite « pour des raisons politiques », c’est vrai, mais nullement de la manière dont il le sous-entend. Quant à sa prétendue offre de monter une « mission de sauvetage », non seulement la Nasa n’en a aucune trace, mais cela aurait été inutile, puisqu’ils étaient déjà pris en charge, et surtout cela aurait essentiellement rapporté du prestige et un contrat supplémentaire de plus de 150 M$ à SpaceX.

Barry Wilmore et Sunita Williams n’ont jamais été « coincés » à bord. À tout moment de leur mission, ils disposaient d’une capsule pour revenir sur Terre si la situation l’exigeait. Du 6 juin au 6 septembre il s’agissait de la Starliner Calypso. Du 6 au 29 septembre, ils auraient pu revenir à bord de la capsule Crew Dragon Endeavour de la mission Crew 8. Ils auraient alors voyagé en tant que 5e et 6e passagers dans des conditions relativement inconfortables mais néanmoins prévues par les spécifications de la Nasa. Enfin, du 29 septembre au 18 mars, ils disposaient de leur propres sièges dans la capsule Crew Dragon Freedom de la mission Crew 9.

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Nullement « naufragée », Sunita Williams a participé à une sortie dans l’espace le 17 janvier. Crédit : Nasa.

Finalement, la mission Crew 10 lancée le 12 mars n’est nullement partie « les sauver », elle est allée amener à bord l’équipage de relève avec la capsule Endurance. La capsule et les quatre astronautes resteront sur l’ISS jusqu’en juillet prochain. Tout ce plan ne doit rien à Donald Trump, puisqu’il a été mis en place par la Nasa sous Joe Biden, deux mois avant les élections.

La Starliner a démontré sa robustesse

Détail savoureux, le retour des astronautes a bel et bien été retardé, mais par SpaceX. Pour la mission Crew 10, la firme d’Elon Musk devait fournir une capsule neuve, mais elle a été incapable de tenir les délais pour assurer un lancement en février. Il a donc été nécessaire de la remplacer par une capsule existante, Endurance, qui effectue à cette occasion son quatrième vol.

L’ensemble des difficultés rencontrées – et surmontées – par Boeing a coûté cher. Le géant aéronautique et spatial a passé pour 2 Md$ de charges sur le programme en cinq ans et d’aucuns pensaient qu’il pourrait jeter l’éponge après l’assassinat médiatique de la Starliner en septembre dernier. Mais la Nasa – du moins la Nasa actuelle – a toujours besoin d’un autre fournisseur pour ne pas être sous la coupe de SpaceX. Reste à savoir quelle forme va prendre la suite du programme.

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Lancement de la capsule Crew Dragon Endurance avec la relève de l’équipage de l’ISS. Crédit : A. Gemignani – Nasa.

Après l’atterrissage de la Calypso, lors d’une conférence de presse à laquelle Boeing avait décliné de participer pour ne pas avoir à se mettre en difficulté face à son client en le contre-disant ouvertement, Steve Stich, directeur du CCP (Commercial Crew Program) à la Nasa, avait évoqué une possible certification de la Starliner après des essais complémentaires au sol mais sans nouveau vol de qualification.

Il semble désormais que la Nasa veuille ce vol complémentaire, que Boeing devrait donc payer de sa poche, avant d’autoriser la Starliner à effectuer les six vols opérationnels prévus dans son contrat. « Nous aimerions effectuer ce vol, puis procéder à une rotation de l’équipage », a déclaré Steve Stich, le 18 mars. « Le vol suivant permettrait de tester toutes les modifications apportées au véhicule, et ensuite, pour le vol suivant, il faudrait absolument que Boeing procède à une rotation de l’équipage. Voilà donc la stratégie. »

Début mars, le responsable de la Nasa avait annoncé que plus de 70 % des problèmes rencontrés sur la mission de la Calypso ont été résolus par l’équipe de Boeing. Reste à savoir si ce plan sera maintenu quand (et si) Jared Isaacman, candidat désigné par au poste d’administrateur par Donald Trump, sera approuvé par le Congrès.

Starliner Crew Dragon
L’équipage de la capsule Crew Dragon Freedom pour le retour vers la Terre : Sunita Williams, Aleksandr Gorbounov, Nick Hague et Barry Wilmore. Crédit : Nasa.

Les vrais naufragés de l'ISS

Barry Wilmore et Sunita Williams n’ont jamais été « naufragés » dans l’espace, sans moyen de rentrer sur Terre à tout instant. Pas plus que Sergueï Krikalev, cet astronaute soviétique, qui avait passé dix mois à bord de Mir de mai 1991 à mars 1992, et en était revenu citoyen russe, l’URSS ayant disparu dans l’intervalle. Il n’avait pas été « oublié ». Il faisait partie d’un équipage permanent de trois personnes et avait juste cédé sa place à bord du Soyouz de relève, pour qu’un astronaute du Kazakhstan (pays nouvellement indépendant) puisse effectuer un court séjour à bord.

En revanche, la mésaventure est arrivée en 2022 aux astronautes de Soyouz MS-22, les Russes Sergueï Prokopiev et Dmitri Peteline, accompagnés de l’Américain Frank Rubio. trois mois après leur arrivée sur l’ISS, un trou a été découvert dans le radiateur externe de leur vaisseau, probablement causé par l’impact d’un débris, et un Soyouz MS-23 de remplacement a dû leur être envoyé, à vide, le 24 février 2023, pour qu’ils puissent redescendre en toute sécurité le 27 septembre suivant, à la fin d’un vol exceptionnellement long de 370 jours, soit deux rotations normales.

Entre-temps Soyouz MS-22 est revenu sur Terre à vide le 28 mars 2023. Techniquement, du 19 décembre 2022 au 26 février 2023, les deux astronautes russes n’avaient pas de moyen sûr d’évacuer la station en cas d’urgence, alors que le siège de l’Américain avait été temporairement transféré sur la Crew Dragon Endurance avant d’être réinstallé sur le nouveau Soyouz. Cela reste un cas unique dans l’histoire.

Sergueï Prokopiev et Dmitri Peteline dans l’ISS. Crédit : Roskosmos.

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