Le 7 février à l’École militaire à Paris, face aux stagiaires de la 27e promotion de l’école de guerre, Emmanuel Macron a replacé la doctrine de dissuasion nucléaire française dans le cadre géopolitique actuel, tendant la main aux partenaires européens mais marquant aussi clairement les limites de ce que la France est prête à partager dans cet effort qu’elle a assumé seule depuis près de soixante ans.
« Nos forces nucléaires jouent un rôle dissuasif propre. Elles renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et à cet égard ont une dimension authentiquement européenne », assure le président. « Sur ce point, notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires. »
Aujourd’hui, la France possède un arsenal de moins de 300 têtes nucléaires et n’a aucune intention d’en partager ou déléguer le contrôle. Ces têtes sont réparties entre les missiles balistiques M51 équipant les sous-marins de la Force océanique stratégique et les missiles de croisière ASMP-A des Rafale de la Force aérienne stratégique.
Avec le départ du Royaume-Uni et de ses 180 têtes, dont 120 montées sur des missiles Trident 2 américains à bord de ses quatre sous-marins stratégiques, la France reste la seule puissance nucléaire de l’Union européenne. Dans le cadre de l’Otan, quelque 150 armes atomiques américaines restent toutefois présentes sur le territoire des 27 (en comptant celles récemment rapatriées de Turquie), entreposées sur les bases aériennes de Büchel en Allemagne, Kleine-Brogel en Belgique, Aviano et Ghedi-Torre en Italie et Volkel aux Pays-Bas.
En parallèle, Paris est désormais le seul pays de l’Union à disposer d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Ambitions allemandes
Ces spécificités agacent depuis longtemps ses partenaires européens, notamment outre-Rhin, où Berlin, encore première puissance économique et démographique du continent, appelle régulièrement à faire passer ce statut international privilégié sous contrôle européen, notamment par la voix du ministre des Finances Olaf Scholz en novembre 2018. Plus récemment, en mars 2019, celle qui était alors la dauphine d’Angela Merkel à la tête de la CDU mais n’était pas encore ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, avait fait une lecture ambigüe du traité d’Aix-la-Chapelle allant dans ce sens. La chancelière l’avait mollement démentie par la suite.
Début février, dans le Tagesspiegel, le député du Schleswig-Holstein Johann Wadephul, vice-président du groupe conservateur (CDU-CSU) au Bundestag, proposait pour sa part qu’à la suite du Brexit l’arsenal nucléaire français soit placé sous commandement commun de l’Otan ou de l’Union européenne.
Mais Paris, qui milite pour un élargissement du nombre des membres permanents du Conseil de sécurité dont Berlin ou Bruxelles pourraient bénéficier, n’a pas l’intention de leur céder son propre siège – et le droit de veto qui y est attaché – et encore moins sa dissuasion.
Le principe même de la dissuasion implique une chaîne de commandement simple et réactive, avec une continuité du pouvoir de décision. C’est aujourd’hui le cas en France comme aux États-Unis, en Russie ou en Chine. La dissuasion britannique, assujettie à Washington au moins jusqu’en 2024 via le traité MDA (UK-US Mutual Defence Agreement), est déjà moins autonome. Un système européen à clés multiples poserait problème avec le risque d’une impossibilité d’emploi ruinant de facto l’aspect dissuasif du dispositif.
Dissuasion nationale et autonomie européenne
Dans son discours, Emmanuel Macron a rappelé que les intérêts vitaux de l’Europe sont ceux de la France et qu’à ce titre, la protection des alliés européens a toujours été présente dans la doctrine de dissuasion française, sans qu’il soit nécessaire d’en transférer les commandes à quiconque. Néanmoins, pour que se développe un dialogue stratégique avec les gouvernements européens qui y sont prêts, Emmanuel Macron propose de les associer aux exercices des forces françaises de dissuasion, afin que se développe « une véritable culture stratégique entre Européens ».
Pour faire face aux nombreux défis stratégiques posés par un monde multipolaire où coexistent neuf puissances nucléaires, le président français, loin de les opposer, en appelle conjointement à « la recherche d’autonomie européenne et la souveraineté nationale ».
Cela passerait par, d’une part, « la promotion d’un agenda international renouvelé pour la maîtrise des armements », et d’autre part, « un réel investissement européen en matière de défense », alors que ce dernier sujet est actuellement au cœur du débat budgétaire européen.
Le président souhaite conforter l’indépendance technologique de l’Europe et sa capacité à anticiper les prochaines ruptures stratégiques, au travers d’une base industrielle de défense autonome et compétitive, avec un effort résolu et massif d’innovation, la maîtrise des technologies de sécurité et celle des exportations de défense, autre sujet de discorde avec Berlin. « Tout cela aujourd’hui suppose un aggiornamento de l’approche européenne », estime le chef de l’État, qui dénonce la prévalence des approches purement économiques et budgétaires de Bruxelles. « Nous ne sommes plus dans le monde des années 90 ! »
Un nouvel acteur contre la prolifération
« Avec la prolifération des missiles aux technologies plus avancées, nous sommes confrontés à une situation inédite où des puissances régionales sont, ou vont être, en mesure de toucher directement le territoire de l’Europe », a rappelé le chef de l’État, qui a aussi dénoncé « la déconstruction des normes internationales », avec la dénonciation du traité sur les armes à portée intermédiaire et l’expiration prochaine du dernier traité de désarmement Start.
Le désarmement nucléaire est aussi au cœur des préoccupations d’Emmanuel Macron, qui rappelle le bilan « unique au monde » de la France en la matière, « conforme à ses responsabilités comme à ses intérêts ». Elle a ainsi « démantelé de façon irréversible sa composante nucléaire terrestre, ses installations d’essais nucléaires, ses installations de production de matières fissiles pour les armes, et réduit la taille de son arsenal ».
« Toutes ces décisions sont cohérentes avec notre refus de toute course aux armements et le maintien du format de notre dissuasion nucléaire à un niveau de stricte suffisance », estime le président, qui appelle les autres puissances nucléaires à « des gestes concrets en direction d’un désarmement global, progressif, crédible et vérifiable ». Des discussions élargies doivent être lancées pour de nouveaux traités, « dans lesquels l’Europe doit faire entendre sa voix et s’assurer que ses intérêts seront bien pris en compte […] car il s’agit de notre sol et d’une discussion qui ne doit pas passer par-dessus notre tête. »
Mais Emmanuel macron se refuse à toute forme d’angélisme et à la signature d’un traité d’interdiction globale des armes nucléaires : « Je ne peux donner à la France comme objectif moral le désarmement des démocraties face à des puissances voire des dictatures qui, elles, conserveraient ou développeraient leurs armes nucléaires. Ne soyons pas naïfs : un décrochage de la France n’aurait pas le moindre effet d’entraînement sur les autres puissances nucléaires. Cela reviendrait pour un État comme le nôtre à s’exposer et à exposer ses partenaires à la violence et au chantage, ou à s’en remettre à d’autres pour assurer sa sécurité. »
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[…] zijn leidende rol verliezen. Europa zou het systeem zeker niet gewoon mogen gebruiken, omdat dat zijn afschrikwekkende aspect de facto […]