Le début d’année 2018 a été assombri chez Airbus par l’annonce faite par son directeur commercial, John Leahy, au moment de passer la main. L’avionneur pourrait renoncer au très gros porteur A380, en service depuis seulement dix ans, si les négociations en cours avec Emirates n’aboutissent pas. C’est la première fois que la direction du groupe aéronautique évoque cette possibilité, alors qu’elle martelait jusqu’ici croire dur comme fer à l’avion et à son positionnement commercial (cf. encadré).
L’A380, une erreur commerciale ?
Célébré depuis son entrée en service comme l’avion le plus confortable du monde, plébiscité par les passagers, l’A380 n’a pourtant pas réussi à séduire les compagnies aériennes. Ses retards ont inquiété, et coûté son poste au patron de l’époque Noël Forgeard, tout en provoquant le grand plan de réduction des coûts et d’externalisation Power8 en 2008. La découverte de fissures sur les ailes a entraîné des surcoûts pour l’avionneur et des immobilisations pour les clients. Il semblerait surtout que l’exploitation de l’avion soit un casse-tête. Le poids de l’appareil endommage les pistes et oblige les aéroports à prévoir des installations spécifiques. La présence de quatre moteurs entraînent des coûts de maintenance plus élevés qu’avec les gros porteurs traditionnels. Les incidents de parcours sont quant à eux très compliqués à gérer, l’A380 nécessitant de mobiliser deux appareils pour le remplacer lors d’un problème.
La « machine à cash » ne s’est pas concrétisée, les compagnies privilégiant le confort et le prestige de l’avion à la capacité. Aucune compagnie n’a en effet choisi la configuration de remplissage maximale, qui peut aller jusqu’à 853 sièges. La nouvelle configuration de l’escalier, qui doit permettre d’installer jusqu’à 80 passagers supplémentaires, n’a pas séduit. Aucune commande n’a été enregistrée depuis 2014, et le programme est dépendant d’Emirates, qui a acheté 142 appareils (101 livrés) sur les 317 commandés. La direction d’Airbus, qui soutenait que l’avion était né « dix ans trop tôt » et dont le modèle, qui consiste à transporter les passagers de hub à hub, allait se populariser, commence à changer d’avis. Le cours du pétrole, qui ne remonte pas, ne permet plus de faire la différence au niveau du coût de la consommation par passager, surtout avec l’entrée en service de nouveaux long-courriers moins gourmands. Enfin, l’arrivée des compagnies à bas-coûts, avides de mono-couloirs et proposant des voyages point-à-point, n’avait pas été prévue dans la stratégie de l’avionneur au début des années 2000. L’A380 pourrait tirer sa révérence avant la fin de l’année.
Cette annonce intervient dans un contexte compliqué pour l’avionneur. S’il brille au niveau de commandes et des livraisons (cf. tableau), les bagarres à sa tête et l’absence de nouveau programme donnent l’impression d’une absence de stratégie concertée. La fermeture imminente du centre de recherche de Suresnes, en banlieue parisienne, a été douloureusement ressentie par les salariés, et le départ du patron Paul Eremenko, embauché il y a seulement un an par Tom Enders, a provoqué des remous au sein de l’entreprise.
Airbus a plus de commandes, mais Boeing est en tête sur les gros porteurs
Les deux constructeurs ne cessent jamais leur compétition. Que ce soit pour les commandes, les livraisons ou la taille des avions, tout est prétexte à comparaison. L’année 2017 aura été marquée par l’énorme commande passée à Dubai auprès d’Airbus par Indigo Partners, une société de location qui a commandé 430 monocouloirs de la famille neo. Cela permet à Airbus d’être largement en tête sur ce segment de marché, une position qu’elle pourrait renforcer avec l’agrégation possible à ces chiffres du programme CSeries lancé par Bombardier, dont Airbus a pris le contrôle.
De son côté, Boeing n’est pas en reste. L’Américain a encore dominé Airbus en 2017 en matière de livraison, avec 763 appareils livrés, contre 718 pour Airbus. Le constructeur de Seattle dame surtout le pion à Airbus sur le segment très rentable des très gros porteurs, grâce aux commandes pour le 777X, attendu pour 2019.
Carnet de commandes | |||||||||
Monocouloir | Long courrier | Très gros porteur | |||||||
Airbus | Boeing | Airbus | Boeing | Airbus | Boeing | ||||
famille A320 | 737 | A330 | A350 | 787 | 767 | A380 | 747 | 777 | 777X |
6141 | 4731 | 317 | 712 | 683 | 101 | 95 | 17 | 100 | 326 |
6141 | 4731 | 1029 | 784 | 95 | 443 |
Livraisons 2017 | |||||||||
Monocouloir | Long courrier | Très gros porteur | |||||||
Airbus | Boeing | Airbus | Boeing | Airbus | Boeing | ||||
famille A320 | 737 | A330 | A350 | 787 | 767 | A380 | 747 | 777 | 777X |
558 | 529 | 67 | 78 | 136 | 10 | 15 | 14 | 74 | – |
558 | 529 | 145 | 146 | 15 | 88 |
Les enquêtes pèsent lourdement sur Airbus
L’annonce des enquêtes visant le groupe a accéléré le calendrier. Les grandes manœuvres ont déjà commencé. Le conseil d’administration d’Airbus a entériné juste avant Noël le départ de Fabrice Brégier, numéro deux du groupe, pour février prochain. Tom Enders, lui, a renoncé à un troisième mandat à la tête du fleuron industriel européen. Son départ pourrait être anticipé en raison des enquêtes qui le visent, mais pose aussi la question de sa succession.
Cela arrive au plus mauvais moment, alors que John Leahy passe la main à Éric Schulz, transfuge de Rolls-Royce, où il dirigeait la branche moteur civil. La situation profite à Guillaume Faury, le P-DG d’Airbus Helicopters, qui a réussi à traverser la crise du secteur des voilures tournantes. Il deviendra responsable des avions civils dès le départ de Fabrice Brégier, mais n’héritera pas de son titre officiel de numéro deux. Guillaume Faury a un autre avantage de taille : pendant la période (2008-2013) couverte par les enquêtes menées par les parquets français, britannique et allemand, il n’était pas dans le groupe mais à la tête de Segula Technologies, puis responsable de la R&D chez PSA.
À la recherche du nouveau patron
Depuis plusieurs mois, le climat à la tête de l’entreprise s’était dégradé. Il est difficile de considérer désormais que Tom Enders pourra sans problème aller jusqu’au bout de son mandat, qui finit en 2019, alors que va se poser d’ici là en permanence la question de sa succession. Il semblerait que la France et l’Allemagne, qui ne sont plus décisionnaires, mais gardent plus qu’un œil sur les nominations à la tête de l’avionneur, se soient accordées.
Un Français devrait prendre la direction du groupe, avec un numéro deux allemand. Le principe de l’alternance serait donc respecté. Fabrice Brégier n’était pas envisagé pour ce poste, ce qui l’a poussé à partir très rapidement. Les gouvernements seraient à la recherche du candidat idéal : on a évoqué Thierry Breton, P-DG d’Atos, ancien ministre de l’Économie, ou Alexandre de Juniac, ancien patron d’Air France, actuellement à la tête de l’IATA (Association internationale du transport aérien).
Cette configuration donne une impression « fin de règne » à ce début d’année, alors que le groupe a réalisé son meilleur exercice en termes de livraison, un cran en dessous de Boeing, mais en le devançant au niveau des prises de commandes. Mais, si les avions commerciaux tirent le groupe, il reste des sujets de préoccupation. Un point d’étape sur les surcoûts de l’A400M est plus qu’attendu, alors que le taux de disponibilité handicape lourdement l’armée française. En attendant la conférence annuelle, Airbus Helicopters présentera ses ventes le lundi 22 janvier, une dernière pour Guillaume Faury à la tête de l’entreprise.
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