La succession de Johann-Dietrich Wörner est officiellement ouverte. L’actuel directeur général de l’agence spatiale européenne (ESA), ingénieur et ancien patron du DLR, avait eu la lourde tâche le 1er juillet 2015 de succéder à Jean-Jacques Dordain. Le Français avait lui-même été nommé comme « pape de transition » à l’instigation des « petits pays » de l’agence en 2003, et finalement plébiscité pour une reconduction à deux reprises, avec un mandat record de douze ans à la tête du spatial européen.
Jan Wörner, lui, n’a pas fait l’unanimité lors de son premier mandat et n’a été prolongé pour un demi-mandat supplémentaire qu’afin de ne pas imposer une transition complexe durant la préparation de la ministérielle de Séville. Le succès de celle-ci devrait lui permettre de partir sur un bilan globalement positif, le 30 juin 2021, peu avant son 67e anniversaire.
Petits pays de l’ESA
Les manœuvres pour sa succession n’ont pas attendu l’annonce officielle de sa renonciation à briguer un nouveau mandat. De l’avis général, après avoir été occupée par deux Allemands, deux Français, et un Italien au cours des trente-six dernières années, la direction générale devrait logiquement revenir à un « petit pays », hors du trio de tête des contributeurs de l’agence. De fait, ceux-ci ont été écartés de l’exécutif depuis le départ du Danois Erik Quistgaard en 1984.
Dès janvier, l’ancien vice-premier ministre et ministre de l’Économie du Luxembourg, Étienne Schneider (49 ans), s’est posé en candidat à la succession, mais il n’est pas le seul.
L’astronaute espagnol Pedro Duque (57 ans), ministre de la Science et de l’Innovation, a également été proposé début juin par le gouvernement de Madrid, confirmant des rumeurs persistantes depuis la ministérielle de Séville.
En Italie, on ne renonce cependant pas à proposer un candidat, ou une candidate. L’ancien patron de l’Agence spatiale italienne (ASI), le physicien Roberto Battiston, a longtemps été vu comme une option malgré ses 64 ans. En 2014, il avait été nommé à la tête de l’agence nationale alors éclaboussée par des scandales de corruption et avait brillamment redressé la barre. Cela ne l’avait pas empêché d’être débarqué brutalement en novembre 2018, à peine six mois après avoir été renouvelé à son poste pour quatre ans. Ses amitiés politiques avaient déplu à la nouvelle coalition et notamment à la Ligue du Nord.
Toutefois, une autre candidate vient d’entrer en scène : l’astrophysicienne Simonetta di Pippo (61 ans), qui fut à la tête des vols habités de l’ESA de 2008 à 2011, avant de devenir directrice du Bureau des affaires spatiales des Nations unies (Unoosa : United Nations Office for Outer Space Affairs). Elle cumule aujourd’hui ce poste avec la direction de l’observatoire pour la politique spatiale européenne de l’ASI. Sa candidature est officiellement soutenue par la présidence du conseil italien.
Outsider français
En France, certains aimeraient voir Jean-Yves Le Gall, actuel président du Cnes et ancien patron d’Arianespace, comme un possible recours. Le principal intéressé nous a déclaré à plusieurs reprises ne pas être candidat, notamment en raison de ses responsabilités actuelles à la tête de l’agence française. Son mandat au Cnes a été renouvelé pour quatre ans à la veille du confinement et doit encore être ratifié administrativement. Il vient en outre de céder son siège de président du conseil de l’ESA à Anna Rathsman, qui préside la délégation suédoise.
Le Français est loin de faire l’unanimité au sein de l’ESA où nombre de voix attribuent à sa présidence du conseil une partie des difficultés rencontrées par Jan Wörner au cours de son mandat, citant une rivalité d’influence entre les deux hommes. Ces opposants pourraient donc jouer de leurs appuis au sein des délégations pour tenter de lui barrer la route.
Dans son blog, Jan Wörner, qui avait 60 ans quand il a postulé, ne manque pas de rappeler que « les esprits plus jeunes sont les mieux placés pour piloter les changements ». Il attend donc avec impatience un successeur qu’il souhaite « jeune et dynamique » tout en insistant sur la nécessité qu’il soit consensuel auprès « de tous les États membres ».
Ainsi, Jean-Yves Le Gall aurait donc contre lui d’avoir 61 ans, de susciter des oppositions… et d’être français. Car sa nationalité est un handicap : d’une part, parce que l’ESA a été dirigée par des Français pendant dix-neuf des trente dernières années, mais aussi et surtout parce qu’un Français est déjà à la tête du spatial au sein de la Commission européenne en la personne de Thierry Breton.
Avant son départ, l’actuel directeur général va devoir négocier avec ce dernier la version finale de l’accord-cadre budgétaire entre l’ESA et la Commission (FFPA : Financial Framework Partnership Agreement), qui devra être adopté en septembre prochain et soumis au conseil spatial ESA-UE de novembre, avant l’adoption définitive du cadre financier pluriannuel (MFF) pour la période 2021-2027. Celle-ci est prévue en décembre, à la fin de la présidence allemande de l’Union qui a démarré le 1er juillet.
Thierry Breton veut un coup d’accélérateur sur le spatial
Le prochain directeur général de l’ESA sera l’interlocuteur privilégié du commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton, dont le vaste portefeuille englobe aussi le spatial et la défense, deux sujets budgétaires majeurs du MFF 2021-2027. Au cours de son mandat, qui s’achèvera en 2024, l’ex-P-DG d’Atos veut donner une impulsion au spatial européen, cité comme « un des points forts de l’Europe » dans un entretien accordé à Reuters le 28 juin. « Nous allons nous donner les moyens d’accélérer », assure-t-il.
En dépit de multiples remises en question sous les présidences finlandaise puis croate de l’Union européenne, et des probables conséquences de la crise liée à la pandémie de Covid-19, Thierry Breton espère toujours obtenir une enveloppe de 16 Md€ dans le cadre du MFF pour les programmes spatiaux communautaires, au premier rang desquels figurent le système de navigation Galileo et le programme d’observation Copernicus. Il souhaite ainsi accélérer à 2024 la transition à la nouvelle génération de Galileo initialement prévue en 2027. Ces nouveaux modèles seront équipés de liaisons intersatellites pour fournir un signal de meilleure qualité. Les prochains chantiers comprennent aussi le système GovSatCom pour assurer l’accès au haut débit pour tous les citoyens européens, et le futur système de gestion du trafic orbital.
Il prévoit aussi la création d’un fonds spatial européen de 1 Md€ pour soutenir les start-up du secteur, auquel le marché des satellites et des lanceurs doit s’ouvrir librement.
Surtout il annonce que la Commission européenne prévoit de signer un accord de 1 Md€ avec Arianespace pour lui assurer une visibilité sur les commandes en échange d’un effort sur l’innovation, en particulier vers la réutilisation. Citant le défi posé par SpaceX, Thierry Breton estime qu’« Ariane 6 est une étape nécessaire mais pas le but ultime : il faut commencer à penser à Ariane 7 ».
Calendrier des prochaines échéances :
23-24 juillet 2020 : Conseil ministériel intérimaire de l’ESA à Lisbonne.
Septembre 2020 : Présentation du FFPA.
27 novembre 2020 : Conseil spatial européen ESA/UE.
1er janvier 2021 : Présidence portugaise de l’UE.
1er juillet 2021 : Entrée en fonction du nouveau directeur général de l’ESA.
Présidence slovène de l’UE.
Second semestre 2021 : Vol inaugural d’Ariane 6.
1er janvier 2022 : Présidence française de l’UE.
1er juillet 2022 : Présidence tchèque de l’UE.
Fin 2022 : Conseil ministériel de l’ESA au Portugal.
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Erratum corrigé le 2 juillet : Johann-Dietrich Wörner était initialement ingénieur et non physicien.