Le lanceur lunaire géant SLS, de la Nasa, partage avec feue la navette spatiale américaine bien plus que ses moteurs et son hall d’assemblage. Il a le triste privilège d’être un système dont l’architecture doit au moins autant à la politique qu’à l’ingénierie. Surnommé « Senate Launch System » par ses détracteurs, il a été imaginé sur la base d’une réutilisation maximale des éléments développés pour la navette, au point de reprendre des moteurs prélevés sur les anciens orbiteurs.
L’objectif de réduire les coûts de développement a été manifestement manqué, puisque la facture s’élève désormais à 4,1 Md$ par vol après 23 Md$ déjà investis. Le calendrier n’a pas été tenu non plus, puisque le retard dépasse cinq ans. En revanche, le programme a bien permis de conserver les bassins d’emplois et l’outil industriel de Boeing, Aerojet Rocketdyne et Northrop Grumman, ainsi que de leur près de 600 sous-traitants. Or c’est justement ce que lui reprochent ses nombreux détracteurs, parmi lesquels de nombreux partisans des initiatives purement privées et en particulier de SpaceX.
L’approche précautionneuse de l’équipe du SLS, qui a entraîné de coûteux reports, met en évidence une fracture entre deux générations à la Nasa, celle de la prudence et des procédures de sécurité, face à celle de l’audace des acteurs du New Space, et surtout d’Elon Musk, adulé non seulement par les commentateurs externes, mais aussi à l’intérieur même de l’agence.
On scrutera donc avec attention la énième tentative de faire décoller le lanceur géant le 21 septembre, mais aussi les réactions et les opérations de communication du côté de SpaceX dont le Super Heavy/Starship est censé « ringardiser » l’éléphant blanc de la Nasa. Il faudra aussi scruter les progrès de ce monstrueux lanceur réutilisable sur lequel repose la capacité des Américains de retourner sur la Lune avant l’arrivée des Chinois et dont beaucoup doutent qu’il tienne les délais.