L’Iran a fait un retour fracassant sur le marché économique mondial. Moins de deux semaines après la levée des sanctions sur le nucléaire, le régime chiite avait déjà commandé 148 appareils, tous auprès d’Airbus et de sa filiale ATR à l’occasion de la visite en France et en Italie du président Hassan Rohani.
La première commande de 118 appareils passée pour Iran Air comprend dans le détail 21 A320, 24 A320neo, 27 A330, 18 A330neo, 16 A350-1000 et 12 gros porteurs A380. Selon nos confrères de La Tribune, les premiers A380 seraient livrés d’ici 2019 et les livraisons étalées sur huit ans. Le directeur des affaires industrielles d’Airbus Operations a d’ailleurs dit le 2 février lors d’une rencontre à la BPI avec les PME que l’avionneur allait faire évoluer son planning de production pour faire face aux délais actuels de livraisons.
ATR réussit son pari
Le 1er février, ATR a pour sa part annoncé la vente de quarante turbopropulseurs ATR72-600, vingt fermes et vingt en options, à l’Iran, pour un montant estimé à 1 Md€. Ces ventes ne sont pas une surprise. Le PDG d’ATR Patrick de Castelbajac avait montré son ambition pour le marché iranien lors de la conférence de presse de présentations des résultats 2015 le 21 janvier dernier. Et dès la fin 2015, les officiels iraniens avaient estimé le marché pour les avions commerciaux entre 400 et 500 appareils. Les avions volant encore en Iran à l’heure actuelle datent, comme les B-747, d’avant la révolution islamique de 1979.
Au total, les deux commandes avoisinent les 24 Md€ prix catalogues. Des euros et pas des dollars, car il est toujours interdit d’utiliser le dollar américain avec l’Iran… La question de l’attitude des États-Unis envers Téhéran laisse d’ailleurs planer un léger doute sur l’accomplissement de ces contrats. Les appareils comprenant plus de 10 % de matériels américains doivent en effet obtenir l’autorisation de vendre à l’Iran.
Les sanctions qui ont été levées en janvier concernent les activités nucléaires, que Téhéran s’est engagé à arrêter, et avaient été imposées par la communauté internationale. Mais d’autre sanctions, dites « primaires » qui concernent les droits de l’Homme et dépendent des États-Unis, pèsent toujours sur le pays. Les commandes passées sont d’ailleurs des accords de principe qui ne sont pas encore comptabilisés dans le carnet de commandes fermes, a expliqué Airbus.
Pour aider à l’exportation de matériels, les organismes publics européens sont intervenus. Ces ventes ont été rendues possible à travers la participation des agences de crédit export, Sace pour l’Italie, en ce qui concerne uniquement ATR, et Coface, l’agence française, qui est présente sur les deux transactions avec Airbus.
Des sanctions en suspens
Les banques occidentales sont en effet encore traumatisées par l’amende record de 8,9 Md$ infligée en 2014 à BNP Paribas pour avoir facilité les transactions en dollars à des pays soumis aux régimes de sanctions américains. Cette amende avait été ordonnée par l’Ofac, le très puissant organisme du Trésor américain chargé de veiller sur les intérêts de l’oncle Sam (cf. encadré).
Autre motif d’incertitude : le prix du pétrole très bas qui handicape l’Iran à court terme. Or ce prix pourrait ne pas remonter en 2016, en raison de l’hostilité de l’Arabie Saoudite envers son voisin chiite et de l’affluence sur le marché du pétrole iranien (cf Dossier). La Chine pourrait d’ailleurs tirer son épingle du jeu face aux Européens, ficelés dans les limites imposées par les Américains. L’exportation de pétrole iranien vers la Chine a été facturée en renminibi, la monnaie chinoise. Les Iraniens disposent donc de réserves importantes dans cette devise, qui n’est pas librement convertible, et sont presque obligés d’acheter à la Chine. Le C919 de Comac pourrait donc lui aussi bénéficier de commandes de la part de Téhéran. De la même façon, la Russie pourrait trouver auprès de 80 millions d’Iraniens un marché pour son Superjet 100.
L'Iran encore bloqué par les États-Unis
L’OFAC est l’Office of Foreign Assets Controls au sein du Trésor américain. Ce bureau est chargé de faire la police lors des transactions et des échanges financiers qui sont effectués par les sociétés ou des individus américains avec des sociétés ou des individus étrangers. Des milliers de personnes et d’entreprises sont enregistrées sur la liste noire de l’Ofac, comme des proches du président russe Vladimir Poutine. En ce qui concerne l’Iran, il reste difficile pour les entreprises américaines – et donc, pour les filiales européennes d’entreprises américaines – de faire du commerce avec le pays. Elles devront obtenir auprès de l’Ofac une licence spéciale. De la même façon, les
32 Md$ d’avoirs iraniens gelés ne pourront rentrer en Iran qu’une fois prouvée leur origine licite. Les États-Unis devraient néanmoins
faire une exception afin d’autoriser leurs entreprises à vendre à Téhéran leurs avions civils et les indispensables pièces de rechange. Il s’agit tout de même de ne pas laisser une trop grande marge de manœuvre aux Européens…