En 2023, La Corée du Nord avait surpris les observateurs en tirant à trois reprises un missile intercontinental à propulsion solide dont l’architecture rappelait le Topol M russe, avec des dimensions légèrement différentes et depuis un affût mobile reprenant des technologies mises en œuvre par Moscou. Baptisé Hwassong 18, il avait d’autant plus été une surprise que les précédents développements de missiles intercontinentaux de Pyongyang s’étaient surtout focalisés sur des missiles à propulsion liquide, tels que les Hwassong 15 et 17, introduits en 2017 et 2022.
Le 30 octobre, les équipes de Kim Jong-un ont procédé au premier tir d’un missile Hwassong 19, à propulsion solide et encore plus puissant que le Hwassong 18. Le tir a été effectué d’un affût mobile, à 22 h 11 TU (le 31 à 07 h 11 heure locale), du site de Chongdong, près de Pyongyang, d’où avaient été tirés les deux premiers Hwassong 18. Les images publiées par l’agence de presse nationale nord-coréenne KCNA montrent que Kim Jong-un et sa fille Kim Ju-ae ont assisté au lancement.
Record d’altitude pour un missile nord-coréen
« Il s’agit du plus puissant missile stratégique au monde », a clamé KCNA dans les heures qui ont suivi. Le vol a duré 85 minutes et 56 secondes, et a été surveillé par les moyens de poursuite américains, sud-coréens et japonais jusqu’à son impact en mer à 200 km à l’ouest de l’île japonaise d’Okushiri, au large de Hokkaidō.
Comme lors de la plupart des essais balistiques à longue portée nord-coréens, le nouveau missile a été tiré à la verticale sur une trajectoire privilégiant l’altitude à la portée afin de ne pas avoir à survoler le Japon. La charge inerte du Hwassong 19 a ainsi atteint 7 687,5 km d’altitude pour 1 001 km de portée. À titre de comparaison, les deux derniers tirs du Hwassong 18 avaient atteint 6 648,4 km et 6 518,2 km d’altitude, pour 1 001,2 km et 1 002,3 km de portée.
Toutefois, le Hwassong 18 avait adopté une trajectoire complexe, avec un premier étage visant une trajectoire opérationnelle de longue portée tandis que le deuxième et le troisième avaient effectué une « ressource » pour monter en chandelle et viser l’altitude afin de réduire la portée. Ces manœuvres avaient réduit la performance du missile. À ce stade, nous ne disposons par de suffisamment de données sur la trajectoire effective du Hwassong 19 pour extrapoler les performances comparées.
La portée du Hwassong 18 a été estimée à 15 000 km, de quoi atteindre l’ensemble du territoire des États-Unis depuis la péninsule coréenne.
Plus gros, plus lourd et plus performant que le Hwassong 18
Les dimensions apparentes du missile sont sujettes à débat, d’autant que celles du Hwassong 18 elles-mêmes ne sont pas connues avec précision. Selon les analystes occidentaux, le premier étage du Hwassong 18 mesurerait 1,9 à 2 m de diamètre, avec une longueur totale de 22,6 à 23,5 m. Sa masse au décollage avec une charge utile de 1 t se situerait probablement entre 54,3 et 61,2 t, estiment Christian Maire et Stéphane Delory de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Le Hwassong 19 est un missile plus gros et plus lourd, comme en témoigne le passage de neuf à onze essieux sur l’affût mobile utilisé. Un tel affût avait été mis en œuvre auparavant pour le Hwassong 17 à propulsion liquide, dont la masse est estimée à plus de 80 t, mais la cabine avant semble avoir été réduite sur ce nouveau modèle, en raison du diamètre du nouveau missile. Le diamètre du Hwassong 17 est estimé entre 2,4 et 2,9 m, ce qui pourrait correspondre à celui du tube contenant le Hwassong 19 et indiquerait un diamètre de 2,2 à 2,7 m pour le missile lui-même. Il adopte apparemment une architecture triétage et son deuxième étage pourrait être une variante du premier étage du Hwassong 18.
Le premier ou le deuxième étage du Hwassong 19 pourrait avoir été testé seul le 25 juin dernier. La nature de l’essai réalisé ce jour là reste mystérieuse.
« Le nouveau type d’ICBM a prouvé au monde que la position hégémonique que nous avons obtenue dans le développement et la fabrication de vecteurs nucléaires du même type est absolument irréversible », a proclamé Kim Jong-un à l’issue de l’essai. Le Hwassong 19 sera déployé en parallèle du Hwassong 18 a annoncé KCNA. Ne nécessitant pas de préparation et de remplissage avant les tirs, ce type de missile est facile à stocker et plus rapide à mettre en œuvre que les missiles à ergols liquides, ce qui renforce la crédibilité de la dissuasion nucléaire nord-coréenne. De plus, avec un plus grand diamètre et une capacité d’emport plus importante, le Hwassong 19 semble être plus facilement en mesure d’être équipé d’un système de déploiement d’ogives multiples de type MIRV (Multiple Independently targetable Reentry Vehicle).
Le Hwassong 19 au service d’une posture plus agressive
Ce lancement est intervenu à une semaine des élections américaines et a été unanimement critiqué par les chancelleries et celles des alliés des États-Unis dans la région, ainsi que par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. La Corée du Sud, pour sa part, a imposé de nouvelles sanctions envers onze individus et quatre entités en Corée du Nord qui auraient participé au développement et au financement illégal du programme.
Selon le secrétaire américain de la Défense, Lloyd Austin, le Pentagone étudie les données récoltées sur ce tir mais « il n’y a aucune indication d’une implication russe à ce stade ». Le rapprochement entre Pyongyang et Moscou avait déjà été dénoncé l’an dernier comme une possible explication des avancées réalisées par la Corée du Nord dans l’acquisition de la technologie de la propulsion solide pour des moteurs de grande taille. des transferts de technologie dans le secteur spatial ont aussi été évoqués comme rétribution pour l’achat d’armements par le Kremlin en soutien à son agression en Ukraine. Le récent déploiement de troupes nord-coréennes – de l’ordre de 11 000 personnes – et de missiles tactiques KN-23 vers le front ukrainien, serait un signe du renforcement des liens militaro-industriels entre la Russie et la Corée du Nord, initialement nié par Moscou mais désormais reconnu par les deux pays au nom du « droit à s’entraider ».
Quelques heures avant le tir, Lloyd Austin avait rencontré son homologue sud-coréen Kim Yong-hyun à Washington pour condamner le déploiement de troupes nord-coréennes en Russie. De son côté, la ministre des Affaires étrangères nord-coréenne Choe Son-hui est arrivée à Moscou le 1er novembre pour y rencontrer son homologue russe Sergueï Lavrov en vue de « consultations stratégiques ». Elle a affirmé que les États-Unis et la Corée du Sud « complotaient pour préparer une frappe nucléaire sur la Corée du Nord », ce qui force son pays à renforcer son arsenal nucléaire et ses vecteurs pour répondre à une attaque si nécessaire.
Le 30 octobre, dans le cadre de l’exercice Freedom Flag 24-1, les aviations des États-Unis et de la Corée du Sud se sont entraînées au bombardement de cibles nord-coréennes simulées, dont des affuts de missiles balistiques. Un total de 110 appareils, dont des drones MQ-9 Reaper, auraient été impliqués.
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