Le spatial fait l’unanimité présidentielle

Ariane 6
Le prochain quinquennat verra l'entrée en service d'Ariane 6. Crédit : ArianeGroup.
Dossier en accès libre – Sujet régalien et de souveraineté depuis l’impulsion initiale donnée par le général de Gaulle il y a soixante ans, le spatial est l’un des rares dossiers sur lequel tous les candidats ont tendance à se rejoindre pour la poursuite des activités. Les principales différences se trouvent dans les nuances et la place qu’ils lui accordent dans leur programme.

Emmanuel Macron restera comme le président qui a extrait le secteur spatial de sa niche ministérielle à la Recherche (avec un droit de regard généralement discret de la Défense). En le plaçant sous la tutelle de Bercy en 2020, à l’image de ce qu’avait déjà fait l’Allemagne depuis longtemps, il en a fait un sujet industriel à part entière. Il est ainsi revenu à Bruno Le Maire de batailler avec ses homologues à Berlin et Rome pour tenter de remettre de l’ordre dans le domaine des lanceurs et dans la famille Ariane 6.

Quelques années plus tôt, en juillet 2019, Florence Parly avait pour sa part présenté la première stratégie spatiale de défense française, tandis qu’un grand commandement de l’espace (CDE) était mis en place à Toulouse.

Le 16 février, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, le président lui-même est venu à Toulouse lors d’un sommet spatial conjoint de l’ESA et des 27 pour brosser le portrait d’une souveraineté européenne dans l’espace. Il a soutenu le projet de constellation sécurisée défendu par le commissaire européen Thierry Breton et les efforts européens vers la mise en place des moyens nécessaires au contrôle du trafic orbital.

Emmanuel Macron au sommet spatial de Toulouse, avec Josef Aschbacher, directeur général de l’ESA, Thierry Breton, commissaire européen, et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances, de la Relance et de l’Espace. Crédit : PFUE.

C’est aussi de l’Élysée et de Bercy que sont venues les initiatives en faveur des start-up du New Space dans le cadre du plan de redressement post-Covid-19 et du plan d’investissement France 2030. Un soutien tout particulier a été accordé à la filière des microlanceurs, pour favoriser l’innovation technologique, en particulier en termes de réutilisation.

Insoumis dans l’espace

Le rival du président sortant à avoir le mieux travaillé sa copie sur le sujet est sans conteste Jean-Luc Mélenchon : le candidat de La France insoumise lui a consacré l’un des 40 livrets thématiques de son programme. Il y fustige l’accaparement de l’orbite basse par le secteur privé américain, ainsi que celui des futures ressources spatiales via le Space Act de 2015 et les Accords Artemis [dont la France n’est toujours pas signataire, ndlr]. Il dénonce aussi la menace de déclassement de la France en Europe suite aux concessions consenties à l’Allemagne. « La délocalisation du moteur Vulcain, initialement produit à Vernon et qui sera désormais fabriqué en Allemagne, est emblématique de cette relégation [C’est la production du moteur Vinci qui est transférée, ndlr] », assure le livret-programme.

Il propose donc la rédaction d’un Livre blanc de l’Espace, dès 2022, pour « recentrer la politique spatiale française et européenne sur les enjeux prioritaires suivants : l’exploration spatiale, la protection de l’environnement et la dépollution, le développement de la recherche, le renforcement de la coopération internationale et la défense de la souveraineté ». Il prévoit aussi de réaffirmer l’importance du traité de l’espace de 1967 et « l’interdiction de toute propriété privée dans l’espace ». Jean-Luc Mélenchon veut en outre proposer un nouveau traité de démilitarisation de l’espace, à négocier sous les auspices de la commission désarmement et sécurité internationale de l’Organisation des Nations unies (ONU). Sur ce dernier point, il est rejoint par Yannick Jadot, qui veut « interdire les usages militaires de l’espace », et par Fabien Roussel, qui promet que « la France travaillera à la démilitarisation de l’espace ».

Jean-Luc Mélenchon, dans le CDL (Centre de lancement) du centre spatial guyanais. Crédit : La France Insoumise.

Les ambitions nationales de Jean-Luc Mélenchon sont importantes : « Nous reprendrons le développement de toutes les technologies nécessaires à la souveraineté française, y compris celles du vol habité ». La décision de rendre Ariane 6 compatible avec les vols habités devrait être prise dès la conférence ministérielle de l’ESA en novembre. « Cette amélioration au coût modeste garantira à la France et aux Européen·nes un accès autonome à l’espace », assurent les Insoumis. Ils réclament aussi une nouvelle station spatiale véritablement internationale pour succéder à l’actuelle ISS dont Washington refuse l’accès aux Chinois.

Décapitalisation du ciel

Jean-Luc Mélenchon souhaite revenir sur « la privatisation d’Arianespace » et promouvoir une stratégie protectionniste pour favoriser son développement. Il veut renforcer les recherches pour Ariane 7, « notamment la recherche pour un lanceur réutilisable en 2025 », et celles sur « les propulseurs nécessaires aux expéditions les plus lointaines ».

S’y ajouteront, pêle-mêle, un programme international de dépollution de l’orbite basse et géostationnaire, un programme de prévention contre les astéroïdes géocroiseurs, une coopération approfondie entre le centre satellitaire des Nations unies (Unosat) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « afin de développer des capacités partagées de planification sanitaire permettant de lutter contre les épidémies et les pandémies » et… la garantie du projet Luna 27 de sonde lunaire russo-européenne ! À noter que ce dernier programme est désormais moribond du fait des sanctions envers la Russie.

Jean-Luc Mélenchon soutient le programme d’observation Copernicus, qu’il estime sous-utilisé, et veut en restreindre l’accès aux Gafam qui « en captent les données pour leur intérêt particulier ». D’ailleurs toute la politique de R&D devra être menée sous l’égide d’organismes publics (Cnes, Onera et CNRS) « au service de l’intérêt général et la protection de la planète, et non plus au bénéfice des intérêts particuliers des entrepreneurs privés qui vivent de la promesse technologique sans lendemain ».

Selon les Insoumis, « l’aventure spatiale [doit être] guidée par les valeurs de découverte, de connaissance et d’émancipation, contre la fuite en avant du capitalisme dans l’espace. »

Jean-Luc Mélenchon, un passionné de spatial à Kourou. Crédit : La France Insoumise.

On retrouve cette volonté en écho chez Jean Lassalle, qui propose de « développer la recherche spatiale dans un esprit pionnier et souverain, afin de ne plus laisser cet univers être exploité par de riches milliardaires aux fins commerciales et personnelles ».

Retour en tête

Eric Zemmour, inquiet d’un éventuel déclassement, veut redonner à la France « sa première place scientifique, politique et économique dans le spatial européen et accélérer les programmes de lanceurs spatiaux réutilisables ». Valérie Pécresse, s’intéresse à la préservation de l’industrie et veut créer des champions nationaux et européens dans les industries du futur, auxquelles appartient le secteur spatial. Elle promet d’ajouter 1 Md€ au financement de la recherche fondamentale et des innovations stratégiques.

Anne Hidalgo, pour sa part, propose une révision à la hausse de la Loi de programmation militaire 2019-2025 (LPM) « afin de mieux prendre en compte les nouvelles menaces, notamment en matière spatiale », un point sur lequel elle rejoint Marine Le Pen.

Ce souci de souveraineté spatiale se retrouve aussi, sans surprise, chez Nicolas Dupont-Aignan, qui veut « poursuivre avec détermination la montée en puissance des capacités de nos forces dans le domaine spatial ». Pour lui, cela doit passer par l’augmentation du nombre de satellites de renseignement et par « le développement de moyens de défense et de riposte contre tout acte hostile d’une autre puissance les prenant pour cible ». Pourfendeur de l’Union européenne, il souhaite néanmoins promouvoir une politique spatiale européenne « afin de conserver l’indépendance vis-à-vis des technologies américaines, ainsi que la maîtrise des innovations clefs qui irriguent l’industrie et génèrent d’importantes retombées économiques ».

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