Hasard du calendrier, le lancement de la mission Lisa Pathfinder est intervenu exactement un siècle et un jour après la publication par l’Académie royale des sciences de Prusse de la théorie de la gravitation d’Albert Einstein, plus connue sous le nom de « théorie de la relativité générale ».
La mission de ce satellite technologique est justement de valider la conception d’un « accéléromètre » ultrasensible qui sera au cœur de la future mission Lisa (voir article p.34) à l’horizon 2034 dont l’objectif se trouve être de détecter l’un des phénomènes prévus par cette théorie : les ondes gravitationnelles.
« Malheureusement pour cette branche de la physique, on ne peut pas construire de modèle réduit d’une mission sur les ondes gravitationnelles pour tester la mission finale Lisa, » explique Eric Plagnol, directeur de recherche au CNRS et responsable d’expérience sur la mission Lisa Pathfinder. « Il faut tout de suite une mission très importante, notamment au niveau financier. Comme l’ESA ou même la Nasa n’allait pas tout d’un coup faire confiance à notre communauté de chercheurs un peu aventureuse en nous donnant tout de suite le budget pour Lisa. Ils nous ont demandé de faire nos preuves et c’est comme cela que Lisa Pathfinder est née. »
Précision subatomique
Lisa comprendra trois satellites dotés de masses de référence, gravitant autour du Soleil à 70 millions de kilomètres de la Terre et formant un triangle équilatéral d’un million de kilomètres de côté. Des micropropulseurs assureront le maintien des positions relatives des satellites vérifiées par laser, tandis que la variation de distance entre les masses sera mesurée avec une précision subatomique. L’objectif sera de filtrer toutes les perturbations externes pour faire apparaître celles, à la limite du détectable, causées par la lente oscillation de l’espace-temps due aux ondes gravitationnelles les plus puissantes.
La charge utile LTP (Lisa Technology Package) de Lisa Pathfinder consiste en deux cubes d’or platiné de 1 960 g et 46 mm de côté suspendus chacun dans sa propre enceinte sous vide. Ils simulent, à 38 cm de distance l’un de l’autre, les masses de référence qui voleront à bord des satellites Lisa, mais séparées d’un million de kilomètres.
Micropropulseurs au banc d’essai
Pour maintenir les deux masses dans un état de chute libre gravitationnelle le plus parfait possible, le satellite est équipé de six micropropulseurs à gaz froid, qui entrent en action chaque fois que les masses de référence dérivent de leur position. Ils doivent pouvoir maintenir la position du satellite au nanomètre près. La principale source de perturbation sera la pression des photons solaires, qui devrait fournir une poussée de l’ordre de 19 μN. Ces micropropulseurs ont été testés au sol par l’Onera et seront étalonnés dans l’espace, avec une précision redoutable, par Lisa Pathfinder.
Un autre système de propulseurs électrostatiques de type « Electrospray » produits par Busek, dans le Massachusetts, et capables de fournir des poussées de 5 à 30 μN avec une stabilité de l’ordre de 0,1 μN est fourni par la Nasa. Ces propulseurs utilisent un champ électrostatique puissant pour accélérer des gouttelettes d’un fluide colloïdal.
Le développement de ces micropropulseurs, et de bien d’autres éléments de Lisa Pathfinder, a été un vrai défi lancé aux industriels, ce qui a entrainé des dépassements de budget et de calendrier. L’ESA avait notamment commencé par développer des micro- propulseurs basés sur des émissions ioniques mais ces modules n’ont pas atteint un degré de maturité suffisant pour la mission. L’Europe a donc opté pour des micropropulseurs à gaz froid, aujourd’hui utilisés sur la mission d’astrométrie Gaïa et très satisfaisants au niveau de la précision demandée.
Grâce à un système de filtrage des perturbations, l’environnement des masses de références devrait être « l’endroit le plus calme de l’univers » selon l’ESA. Techniquement, le satellite se stabilisera autour des masses, qui ne seront soumises pour leur part qu’aux seules forces gravitationnelles. L’objectif de la mission est de qualifier ces technologies, mais aussi de caractériser les marges d’erreurs du concept.
Airbus DS en maître d’œuvre
Le satellite a été réalisé sous maîtrise d’œuvre d’Airbus Defence & Space UK à Stevenage, à la tête d’une équipe de 30 industriels venus de treize pays européens, tandis que l’intégration de la charge LTP a été confiée à Airbus DS GmbH à Friedrichshafen, qui a travaillé avec vingt industriels et des laboratoires de huit pays. Le coût de la mission est évalué à 450 M€ pour l’ESA.
Lisa Pathfinder a été lancé avec un module propulsif chargé de 1 100 kg d’ergols. Il s’agit en fait du sous-système propulsif biergol d’une ancienne plateforme Eurostar 2000 d’Airbus DS, sans la structure externe de celle-ci. Doté d’un moteur de 400 N de poussée, il a effectué cinq allumages du 7 au 9 décembre pour monter progressivement le périgée de l’orbite à 748 km et l’apogée à 124 805 km. Le 12 décembre une ultime manœuvre a fait passer cet apogée à 1,5 million de kilomètres, plaçant le satellite sur une trajectoire qui l’amènera à entrer début février sur une orbite de Lissajous autour du point de stabilité situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre dans la direction du Soleil.
Une fois Lisa Pathfinder sur son orbite opérationnelle, les deux masses de références seront libérées. Cette opération est très délicate car de celle-ci dépend la stabilité quasi-parfaite des cubes. Trois semaines de recette s’en- suivront, sous la responsabilité de l’ESA et des industriels. L’exploitation scientifique de la mission proprement dite durera ensuite six mois, et peut-être plus si nécessaire.
Cet article a été publié dans le numéro 0.3 d’Aerospatium, daté du 12 décembre 2015.
Fiche de mission
Vega VV06
Décollage le 3 décembre à 04 h 04 m 00 s tu du complexe SLV du Centre spatial guyanais (CSG) de Kourou.
Charge utile : Lisa Pathfinder (486 kg) et son module propulsif (1 420 kg).
Orbite initiale : 209 x 1 521 km, 6,0°.
Dernière mission du programme Verta.
Vega prend son envol
Avec ce sixième vol, le Vega achève sa période d’essai, qui comprenait un vol de qualification (VV01) et cinq missions commandées par l’ESA dans le cadre du programme d’accompagnement technologique Verta (VV02 à VV06). Initialement, il avait été prévu que ces cinq missions seraient attribuées à des charges utiles de l’ESA, pour assurer la montée en cadence le temps qu’un marché se constitue, mais l’émergence de celui-ci a été plus rapide que prévu, puisqu’une charge commerciale d’Arianespace – le satellite vietnamien VNREDSat 1A – a trouvé sa place à bord dès VV02, et que le vol VV03 était une mission purement commerciale avec le satellite d’observation KazEOsat 1 pour le Kazakhstan.
Arianespace assume désormais pleinement l’exploitation du petit lanceur européen. Dix exemplaires de Vega ont été commandés au maître d’œuvre ELV SpA en novembre 2013 et Arianespace dispose déjà de neuf lancements sur son carnet de commandes de 2016 à 2019. Deux missions sont prévues en 2016. Une en juillet emportera cinq satellites d’observation : Perùsat 1, développé par Airbus Defence & Space pour le Pérou, et quatre satellites SkySat pour l’opérateur californien Google SkyBox. La seconde, en fin d’année, sera dédiée au satellite d’observation Göktürk 1 développé par Thales Alenia Space pour la Turquie.
Après la fin du programme Verta (Vega R&T Accompaniment), l’ESA continuera à surveiller l’exploitation industrielle du Vega dans le cadre du programme Leap (Launcher Exploitation Accompaniment Programme), qui englobe également Ariane, afin de traquer les dérives de production, de s’assurer du maintien de la qualification du système, notamment en cas de changement dans les sources d’approvisionnement de composants ou de matériaux, ou d’introduction de modifications destinées à réduire les coûts récurrents.