50 ans sur la Lune : Un vaisseau, un atterrisseur et un lanceur tout-en-un

Apollo 50 vaisseau LM
Le module lunaire d'Apollo en configuration d'alunissage lors de la mission Apollo 9 de répétition autour de la Terre. Crédit : Nasa.
EN ACCÈS LIBRE – Que serait Apollo sans son module lunaire ? Ce vaisseau, probablement l’un des plus complexes imaginés par l’homme, est pourtant un rajout, développé dans l’urgence avec des contraintes impossibles.

Lorsque le programme Apollo démarre, en 1960, deux écoles s’affrontent au sein de la Nasa, sur la forme que devrait prendre un débarquement lunaire. Wernher von Braun, concepteur de la famille des lanceurs Saturn au centre spatial Marshall, favorise l’option du « rendez-vous sur orbite terrestre » : plusieurs missions assemblent sur orbite basse un puissant vaisseau qui se rend ensuite sur la Lune. La direction de l’agence pense plutôt à une option « directe » avec un lanceur géant Nova, capable de lancer le sus-dit vaisseau en une seule fois.

Dans tous ces scénarios, la capsule Apollo est équipée d’un module de service et d’un étage d’alunissage. Ce lourd assemblage de plus de 45 t doit se poser sur la Lune et la capsule va redécoller sous la poussée de son module de service.

John Houbolt, du centre de recherche Langley de la Nasa, propose une troisième option, le « rendez-vous sur orbite lunaire », qui offre un bilan de masse bien plus favorable en évitant de faire descendre les lourds modules de commande et de service dans la puits gravitationnel lunaire.

John Houbolt expliquant le scénario du « rendez-vous sur orbite lunaire ». Crédit : Nasa.

Jugé fantaisiste et dangereux, ce scénario est écarté plusieurs fois… mais John Houbolt va batailler ferme, court-circuitant sa hiérarchie à plusieurs occasions pour finalement convaincre du bien-fondé de son option. Le rendez-vous sur orbite lunaire est approuvé officiellement le 11 juillet 1962.

Concept d’Apollo avec son module lunaire en 1963. Crédit : Nasa.

Décrocher la Lune

Reste à développer le vaisseau qui fera l’aller-retour entre l’orbite et la surface lunaire. Ce LEM (Lunar Excursion Module), qui deviendra LM en juin 1966, doit être capable de se poser sous la seule poussée de son moteur, faute d’atmosphère sur laquelle freiner, ce qui en fait un atterrisseur. Il doit ensuite redécoller de la Lune, ce qui en fait un lanceur. Enfin, il doit assurer la survie de son équipage et manœuvrer pour un rendez-vous avec la capsule Apollo, ce qui en fait un vaisseau autonome. Et pour couronner le tout, il doit être excessivement léger, ce qui impose qu’il soit biétage pour ne pas ramener sur orbite les éléments qui ne lui servaient qu’à se poser.

Onze industriels sont consultés en juillet 1962 et neuf répondent en septembre. Grumman Aircraft est sélectionné en novembre, sur la base de son expertise au travers d’études déjà menées sur les rendez-vous sur orbite lunaire.

Une équipe industrielle est réunie : TRW (en parallèle avec Rocketdyne jusqu’en 1965) et Bell Aerosystems pour les moteurs de descente et de remontée, Hamilton Standard pour les systèmes de survie, et Marquardt pour les moteurs de pilotage. Le système de navigation est fourni par le laboratoire d’instrumentation du Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’ordinateur de bord par Raytheon (qui fournit aussi celui du module de commande d’Apollo) et l’ordinateur de secours par TRW.

Un module lunaire en intégration en 1968. Crédit : Nasa.

Le développement est réalisé sous la direction de Tom Kelly dans l’usine de Grumman à Long Island. Une fois l’architecture générale figée en avril 1963, son équipe va se livrer pendant deux ans à un exercice d’amaigrissement drastique. Les piles à combustible de Pratt&Whitney sont abandonnées au profit de batteries, le nombre de hublots est réduit à trois, celui des colliers d’amarrage de deux à un seul, et celui des sièges à zéro. À l’exception de la cabine pressurisée de l’étage de remontée et de panneaux structurels sur l’étage de descente, une grande partie de la structure est tubulaire et recouverte de feuilles de mylar aluminisé en guise de protection thermique.

Finalement, l’étage de descente pèse 10,3 t avec ses ergols et l’étage de remontée 4,7 t. La cabine offre un volume habitable de 4,5 m3. L’ensemble mesure 7 m de haut pour en empattement de 9,4 m.

Apollo 5, LM
Le tout premier modèle de vol du module lunaire (LM-1), dépourvu de jambes d’atterrissage, est installé dans sa coiffe, pour le vol d’essai inhabité Apollo 5. Crédit : Nasa.
Apollo 5, un Saturn 1B adapté à l’emport du module lunaire seul. Crédit : Nasa.

Apothéose lunaire

Le premier vol d’essai inhabité a lieu le 22 janvier 1968 sur un Saturn 1B, sous le nom d’Apollo 5. C’est un succès, les deux étages manœuvrent et se séparent comme prévu. Deux autres vols d’essai ont lieu, avec Apollo 9 autour de la Terre en mars 1969 (LM-3 Spider) et avec Apollo 10 autour de la Lune en mai (LM-4 Snoopy).

Signe de son changement de dimension, Grumman Aircraft devient alors Grumman Aerospace.

Les sept vols suivants sont des expéditions vers la Lune. Le LM-5 Eagle d’Apollo 11 restera dans l’histoire, mais le LM-7 Aquarius d’Apollo 13 lui vole presque la vedette : après l’explosion qui endommage le module de service de la capsule Odyssey, il devient la chaloupe de sauvetage qui permet à l’équipage de survivre.

De nombreuses évolutions du LM avaient été envisagées, avec des versions cargo, des habitats lunaires… mais les budgets engagés sur le défi de John F. Kennedy ont entraîné l’annulation de tous les projets post-Apollo.

La série s’achève avec le LM-12 Challenger d’Apollo 17 en décembre 1972.

L’étage de remontée du module lunaire, débarrassé de son étage de descente, lors de la mission d’essai Apollo 9. Crédit : Nasa.

Le succès du développement du LM reste unique. Aucun autre vaisseau de ce type, entièrement conçu pour fonctionner loin de la Terre, n’a jamais été mis en service. Même son homologue russe, le LK, véritable scooter spatial non pressurisé développé par ce qui deviendra KB Youjnoyé en Ukraine, n’a jamais été piloté par un cosmonaute.

Dur retour sur Terre

Quatre mois avant Apollo 17, Grumman, qui connaît le succès dans l’aéronautique avec le développement de son F-14 Tomcat, a échoué à décrocher la maîtrise d’œuvre de l’orbiteur de la navette spatiale. Celle-ci revient à North American Rockwell, tandis que Grumman devient sous-traitant en fournissant la structure des ailes et de la dérive.

En 1994, Grumman est racheté par Northrop qui a surenchéri sur Martin Marietta. Dans les années qui suivent, Northrop Grumman va fermer la quasi-totalité des anciens sites de Grumman sur Long Island. En 2002, Northrop Grumman rachète également TRW, sous-traitant du LM devenu entre-temps maître d’œuvre du télescope spatial James Webb.

Parmi les autres sous-traitants du LM, Hamilton Standard, qui appartenait à United Aircraft, devenu United Technologies en 1975, est fusionné avec Sunstrand en 1999, puis Goodrich en 2012 et enfin Rockwell Collins en 2018 pour devenir Collins Aerospace.

Le laboratoire d’instrumentation du MIT est devenu le Charles Stark Draper Laboratory en 1973 et continue de fournir des systèmes de navigation et de pilotage, notamment pour la Station spatiale internationale (ISS). Le Draper Laboratory a aussi développé un atterrisseur lunaire robotique, l’Artemis 7, sélectionné par la Nasa en novembre 2018 dans le cadre du programme CLPS (Commercial Lunar Payload Services).

Lune Artemis 7
Le projet d’atterrisseur commercial Artemis 7. Crédit : Draper Laboratory.

Le petit moteur qui retournera vers la Lune

Le motoriste Marquardt a connu un grand succès avec le moteur R-4D de 500 N qui servait au pilotage du LM et du module de service d’Apollo et a été ultérieurement adapté pour le pilotage de la navette spatiale. La compagnie en revanche est passée de mains en mains.

Elle a été rachetée en 1983 par l’équipementier de défense ISC (International Signal & Control), lui-même racheté par le britannique Ferranti en 1987. Lorsque ce dernier fait faillite en 1991, Marquardt est racheté par Kaiser Aerospace. Celui-ci, aujourd’hui intégré à Collins, le revend à Primex Technologies en 2000, lui-même racheté dans la foulée par General Dynamics. La production du R-4D est transférée en 2001 à Aerojet (aujourd’hui Aerojet Rocketdyne).

Le R-4D est toujours en service aujourd’hui, notamment sur le vaisseau cargo japonais HTV qui dessert l’ISS. Il a aussi équipé l’ATV européen. Huit R-4D sont également montés sur le module de service européen ESM de la capsule Orion et participeront donc au retour de l’homme vers la Lune.

Huit moteurs R-4D, avec des protections rouges, sont montées sous l’ESM, ici en intégration chez Airbus à Brême. Crédit : R. Sinyak – Nasa.

Retour à notre série : Apollo, un héritage industriel cinquantenaire.

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