Menaces sur la coopération transatlantique

Coopération
Le module de service européen (ESM) de la mission Artemis 2 a été livré à la Nasa en 2021, pour un vol prévu en 2026 et peut-être annulé. Crédit : C. Huston - Nasa.
L’alternance du pouvoir aux États-Unis et les discours qui l’accompagnent mettent les Européens dans l’embarras après des années d’investissement sur des programmes en coopération.

L‘avenir de la coopération avec les États-Unis a été le sujet de nombre de conversations à mi-voix dans les couloirs de la 17e conférence European Space Policy qui s’est tenu à Bruxelles les 28 et 29 janvier. L’inquiétude face aux discours tonitruants qui parviennent de Washington est palpable.

Quel avenir pour le programme Artemis quand Donald Trump, lors de son investiture, a fixé l’objectif des vols habités sur Mars en 2028, selon un calendrier aberrant ? « La Lune est une distraction, » a asséné son proche soutien Elon Musk. C’était pourtant Donald Trump qui avait insisté en 2019 pour qu’Artemis la vise dès 2024, avant la fin de ce qu’il pensait alors devoir être son second mandat.

Le programme avait alors défini comme objectif premier de déposer « une femme et une personne de couleur » à sa surface. Un tel objectif semble aujourd’hui incongru avec l’annulation de tous les programmes de discrimination positive et d’inclusivité par le nouveau maître de l’exécutif.

Orion ESM-1 Europe
Le module ESM a conféré à l’Europe une place stratégique dans le programme Artemis. Crédit : Nasa.

La coopération sur le retour de Mars est menacée

Or ces nouveaux buts ne sont guère compatibles avec les partenariats conclus avec l’ESA sur Artemis, comme sur la poursuite des programmes martiens avec le retour des échantillons prélevés par l’astromobile Perseverence.

Ce devait être l’objet de la mission MSR, dont la partie américaine avait été le sujet de l’une des dernières conférences de presse de l’administrateur sortant Bill Nelson. Le programme était en cours de révision après que son budget eut dérapé pour atteindre 11 Md€. Deux scénarios de référence avaient été proposés. L’un basé sur la réutilisation de matériel existant, comme le système d’atterrissage Sky Crane pour déposer sur Mars l’atterrisseur porteur du mini-lanceur chargé de placer les échantillons sur orbite pour qu’ils y soient récupérés par la sonde ERO (European Return Orbiter) afin d’être ramenés sur Terre. L’autre option était de confier cette récupération à un opérateur privé mais, dans les deux cas, avait affirmé Bill Nelson, la sonde ERO assurerait le retour.

Deux semaines plus tard, rien n’est moins sûr. « Le programme MSR est vraisemblablement mort, nous attendons le faire-part », déplore un proche du dossier. En 2020, l’ESA avait convenu d’investir 491 M€ dans un contrat de développement, dont la responsabilité industrielle avait été confiée à Airbus Defence & Space.

ERO MSR Exploration Mars Retour d'échantillons
Vue d’artiste ERO dans sa configuration actuelle, avec ses panneaux solaires géants. Crédit : Airbus.

Des « plans B » dans les cartons

Officiellement aucun programme commun avec la Nasa n’est remis en cause à ce stade, et s’il doit y en avoir, ce sera par Washington. Les Européens restent dans l’expectative et ne prendront aucune responsabilité dans les éventuelles remises en cause à venir.

Cela ne veut cependant pas dire qu’ils ne s’y préparent pas. Loin des micros, des proches des principaux décideurs confirment que des « plans B » sont dans les cartons pour les programmes dans lesquels les Européens ont investi et qui pourraient se retrouver sans objet si les nouveaux maîtres de Washington devaient annuler leur propre composante.

Traditionnellement, la coopération avec la Nasa se font sur une base de non-échange de fonds. Chacun investit dans sa propre industrie et les objets réalisés sont remis en échange de contreparties en nature. Ainsi, l’ESA a remis à la Nasa des modules de service de capsules Orion du programme Artemis en guise de loyer pour sa participation à la station spatiale internationale. Les modules de la station Gateway doivent être payés en vols d’astronautes vers Lune. Les participations aux missions scientifiques sont négociées en échange d’un partage des résultats obtenus.

Gateway coopération
La station Gateway, avec trois modules développés en Europe, dont deux sous l’égide de l’ESA. Crédit : A. Bertolin – B. Reynolds – Nasa.

Les éléments déjà livrés aux États-Unis, et même certains contrats industriels déjà démarrés de ce côté-ci de l’Atlantique, engagent contractuellement Washington à fournir des contreparties qui pourront avoir à être renégociées en fonction de la nouvelle direction que prendra le programme spatial américain.

De la coopération à la résilience

« Heureusement, nous ne sommes pas complètement dépourvus, nous disposons d’une stratégie pour 2040, approuvée par les politiques, » se rassure-t-on à Bruxelles. L’objectif devrait être de trouver un moyen de rentabiliser les avancées technologiques permises jusqu’ici, dans un cadre qui ne dépendra plus de la Nasa.

L’exploration n’est pas la seule sur la sellette, les coopérations dans le domaine du climat devraient elles aussi remises en cause par la nouvelle administration.

« Quoi qu’ils fassent, qu’ils le fassent le plus vite possible ! », s’impatiente-t-on. L’incertitude actuelle ne permet pas de prendre de décision. Or, les ministres des pays membres de l’ESA se réuniront fin novembre à Brême pour décider des engagements financiers qui présideront aux trois prochaines années de programmes. Il serait judicieux que les propositions qui leur seront faites soient basées sur une situation réelle et non sur l’image rémanente de ce qu’elle a été jusqu’à présent.

ISS coopération
Depuis 1992, l’ISS a été l’un des plus grands succès de coopération internationale, et a survécu et d’importantes crises entre ses partenaires. Crédit : Nasa.

« L’ESA est née de la coopération, elle est dans son ADN », a expliqué à Bruxelles Eric Morel de Westgaver, directeur de l’industrie, des approvisionnements et des services juridiques de l’agence européenne. Il rappelle ainsi qu’en moyenne, un accord de coopération a été signé tous les mois en cinquante ans : 600 à ce jour ! Mais face aux défis d’un monde en pleine bouleversement, « à Brême, nous allons devoir insister sur la robustesse et la souplesse de nos programmes. » Il remet aussi les choses en perspective : « nous avons déjà travaillé avec neuf administrations américaines, […] nous sommes un partenaire fort et fiable reconnu mondialement et nous devons le rester. »

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