Comme lors de l’introduction des précédentes versions d’Ariane, à l’exception d’Ariane 5, l’autonomie d’accès à l’espace passe aussi par une projection vers l’avenir, avec la préparation de la succession du nouveau lanceur. Dès aujourd’hui, les prochaines évolutions d’Ariane 6 sont en route. Viendra tout d’abord l’introduction de l’étage manœuvrant Astris, en 2024, puis celle de l’étage supérieur Icarus avec sa structure en composites carbone. Lanceur évolutif, Ariane 6 n’en restera pas là. Il pourrait ainsi recevoir des accélérateurs rallongés P120C+, avec plus de propergol, pour augmenter la capacité, voire la réutilisation avec des accélérateurs à ergols liquides dérivés du démonstrateur Themis.
Themis aura aussi une année chargée puisque son modèle d’essai en version « Battleship » (réservoirs lourds sur un châssis fixe) va servir aux premiers essais à feu du moteur Prometheus sur le site normand de Vernon. Un premier exemplaire de ce moteur à bas coût, également conçu pour la réutilisation, est en cours de montage à la base du démonstrateur. Les premières mises à feu sont prévues à la fin du premier trimestre.
Réutilisation en famille
La maîtrise de la réutilisation est aussi un passage obligatoire pour l’autonomie d’accès à l’espace, même si son application ne sera pas forcément systématique, reconnaissent séparément Philippe Baptiste et André-Hubert Roussel. Car l’équation économique est complexe : elle dépend des cadences, de la taille des lanceurs, de l’évolution du marché et des conditions d’exploitation. Il serait ainsi très difficile de maintenir une qualité industrielle s’il n’y avait plus à produire qu’un seul lanceur par an ! « Dans certaines conditions, la réutilisation peut même être intéressante à certaines cadences et pénalisante à des cadences plus hautes », explique le patron d’ArianeGroup. « En revanche elle permet de tenir de fortes fréquences grâce à la disponibilité des étages ».
Autre argument clé, selon André-Hubert Roussel, la réutilisation permet d’envisager des lanceurs « éco-responsables », utilisant des ergols à faible impact écologique, comme le biométhane, et ne dispersant pas de particules dans la stratosphère.
C’est pour cela qu’ArianeGroup a créé la filiale Maïa Space, afin d’étudier le mini-lanceur Maïa développé à partir du démonstrateur Themis. Une fois que celui-ci aura achevé son programme d’essai, Maïa pourra enchaîner sur des lancements dès 2026. Ce petit lanceur technologique pourra placer environ 500 kg sur orbite et ne devrait donc pas se trouver en concurrence directe avec Vega E. Maïa Space est pour le moment détenue à 100 % par ArianeGroup (et donc franco-allemande), mais pourrait ouvrir ultérieurement son capital à d’autres partenaires européens. En apportant une maîtrise de la réutilisation, Maïa pourra ouvrir la voie à d’autres architectures étudiées par ArianeGroup dans le cadre des études Nests (New European Space Transportation Solutions) lancées par l’ESA en mars 2021.
Microlanceurs en approche
Mais le marché sur lequel Maïa devrait arriver ne sera pas inoccupé. Les projets de microlanceurs ont fleuri en Europe comme ils l’avaient fait aux États-Unis. Quand il a lancé sa compétition pour sponsoriser un système de microlanceur à bas-coût, en juin 2018, l’EIC (European Innovation Council) a reçu une grosse quinzaine de dossiers. Le 25 janvier, la start-up allemande Isar Aerospace, avec son petit lanceur Spectrum, a décroché le prix de 10 M€, devant PLD Space en Espagne et son Miura 5 à premier étage réutilisable, et Rocket Factory Augsburg qui proposait son RFA-1. Incidemment, deux de ces trois microlanceurs pourraient effectuer leur premier vol cette année.
Le Spectrum devrait décoller d’Andaya, dans l’archipel norvégien des Lofoten, en fin d’année. Il pourra emporter 700 kg sur orbite héliosynchrone. Le RFA-1, avec une capacité de 1,2 t, vise un premier vol à peu près au même moment, du même site, mais cela dépendra des essais de longue durée de son moteur principal en juin. Le Miura 5 ne sera pas prêt avant fin 2024. Le Royaume-Uni, qui n’est plus dans l’Europe, appartient toujours à l’ESA, et deux opérateurs locaux, Skyrora et Orbex, visent aussi des premiers vols en fin d’année, le Skyrora XL (315 kg sur orbite basse) de Unst, dans les Shetlands, et le Prime (150 kg) de Sutherland, en Écosse.
L’histoire du transport spatial s’est caractérisée jusqu’ici par l’échec de 50 % des premiers vols d’une nouvelle famille de lanceurs. Le succès ou l’échec initial de ces nouveaux microlanceurs influera sur leur capacité à poursuivre comme sur leur capacité – et par ricochet celle des autres acteurs – à continuer de lever des fonds et donc poursuivre leurs
développements.
Enfin, 2022 devrait être l’année au cours de laquelle sera organisée la European Space Launcher Alliance appelée de ses vœux par Thierry Breton pour organiser un écosystème dans lequel les lanceurs institutionnels et les lanceurs privés puissent cohabiter.
Notre dossier : 2022, année charnière pour l’Europe spatiale
Cet article compte 830 mots.