La cupidité c’est mal, le capitalisme nous conduit à la ruine et les travailleurs sont opprimés par le patronat. Cent-quarante-et-un ans jour pour jour après la mort de Karl Marx, disparu dans la pauvreté un 14 mars, ce résumé succinct pourrait presque faire une conclusion aux déboires de Boeing.
Est-ce vraiment un mal de vouloir gagner toujours plus d’argent ? Même Jésus, dans la parabole des talents, (Matth. 25, 14-30), ne semble littéralement pas dire le contraire, en encourageant chacun à faire fructifier les talents – à l’époque, il s’agissait d’une monnaie – qu’il a reçus.
La question est plutôt : pourquoi gagner plus ? Une entreprise qui ne gagne pas assez d’argent ne pourra pas innover et investir. Elle ne pourra pas récompenser les meilleurs salariés – que les services RH désignent aujourd’hui, dans leur inégalable jargon, de talents – à leur juste valeur, prenant le risque de les voir partir, et de mettre en péril l’édifice. Un patron qui n’est pas intéressé à la performance financière de son entreprise aura aussi tendance à aller voir ailleurs, où il pourra gagner plus d’argent.
Une famille qui est riche grâce à son entreprise veut continuer à rester riche, pour demain, et pour que ses petits-enfants soient riches aussi. Sa préoccupation sera le long terme, et elle absorbera les soubresauts. Son capital grossira, mais elle soignera ses salariés ; elle fera parfois du népotisme, en plaçant un rejeton à la tête de la boîte, dans l’espoir qu’il continue, lui aussi, à faire fructifier la richesse pour le siècle prochain.
Ce modèle est loin des culbutes financières de certains actionnaires qui parient à court terme ou visent des rétributions rapides. Cette temporalité ne s’accommode pas des développements longs et des risques qu’engendrent l’industrie aéronautique. Le capital immobilisé par une usine ne peut aller de pair avec les envolées boursières et la volatilité des salles de marché. Il faut du temps pour que l’avion s’envole, mais très peu pour qu’il se crashe. Il en va de même pour un cours d’action. Les actionnaires de Boeing le découvrent aujourd’hui.