Au cours des cinq dernières années, Emmanuel Macron et son ministre des Armées, Florence Parly, ont œuvré à relancer les investissements dans la défense, après plusieurs quinquennats de désarmement et de désinvestissement. Rarement les exportations de défense se sont aussi bien portées, comme en témoignent les ventes record du Rafale, autrefois surnommé « l’invendable », dans un contexte de pression politique accrue en faveur du F-35 américain.
En dépit des circonstances, huit des onze rivaux d’Emmanuel Macron se prononcent pour un désengagement ou une sortie de l’Otan. Fabien Roussel demande même la dissolution de l’alliance politico-militaire. Philippe Poutou demande la sortie de l’Otan tandis que Nathalie Arthaud se contente de la pointer du doigt comme une organisation néfaste, à l’origine de la guerre en Ukraine. Jean-Luc Mélenchon demande une sortie immédiate du commandement intégré, puis plus progressive, de l’organisation. Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, pour leur part, ne souhaitent qu’une sortie immédiate du commandement intégré au nom de l’indépendance stratégique. Jean Lassalle, lui, évoque seulement la préparation d’un désengagement de l’Otan.
Au contraire, Valérie Pécresse se prononce pour « une Europe puissante, solidaire dans l’Otan, et qui se dote d’une capacité autonome de défense ». Yannick Jadot souhaite respecter les traités et renforcer une Europe de la défense (ou plus précisément « une Europe de la paix ») pour rééquilibrer le partenariat transatlantique, notamment en jouant des outils à disposition de l’Union européenne, tel que le Fonds européen de défense (FEdef). Anne Hidalgo n’évoque tout simplement pas le sujet.
Défiance envers l’Europe de la défense
De manière générale, les candidats des extrêmes se défient de l’Europe de la défense, prônant une approche plus souverainiste, ou un pacifisme internationaliste pour les trois candidats d’extrême gauche. Jean-Luc Mélenchon est particulièrement critique envers l’approche d’Emmanuel Macron et la souveraineté européenne basée sur un axe Paris-Berlin : « Les grands programmes industriels menés en coopération le sont au détriment de la France. Le programme d’avion du futur (SCAF) n’est pas mené entre égaux et les savoir-faire français sont mis en partage à des conditions qui ne sont pas satisfaisantes. […] Le programme d’avions de surveillance maritime (MAWS) a également été saboté par l’Allemagne, qui a pourtant fait croire durant des mois que le partenariat aboutirait », assène-t-il. Il propose donc de mettre un terme aux programmes franco-allemands d’avions et de chars « du futur » (SCAF et MGCS) pour « développer des projets français auxquels les nations éventuellement intéressées pourront prendre part dans des conditions mutuellement avantageuses ».
Il rejoint sur ce point Marine Le Pen, qui fait le constat « d’une profonde et irrémédiable divergence de vues doctrinale, opérationnelle et industrielle avec Berlin » et propose de mettre fin « aux coopérations structurantes engagées depuis 2017 qui ne correspondent pas à sa vision d’une défense souveraine ». La candidate du Rassemblement national souhaite en revanche se rapprocher du Royaume-Uni, mais sous condition que celui-ci donne des gages pour faire passer la pilule de sa « trahison » sur le dossier des sous-marins australiens.
Elle estime alors qu’une poursuite du Traité de Lancaster House serait possible, en particulier sur la question du nucléaire et de la famille des missiles de souveraineté. Un premier pas pourrait être, selon elle, « l’achat d’Exocet pour remplacer ses missiles mer-mer américains [ndlr : comme l’Exocet français, le Harpoon américain utilisé par les britanniques doit être remplacé par le FMAN/FMC – FC/ASW franco-britannique développé par MBDA, mais le Harpoon pourrait avoir à être replacé avant que le nouveau missile soit disponible] ». Sinon, « il faudra reprendre l’ensemble des dossiers de coopération en national, ce qui supposera alors une réappropriation nationale des moyens industriels concentrés au sein du one MBDA et lancer avec MBDA France seul, la famille de missiles prévue, ce qui n’est pas un problème de compétences, mais de budget et d’organisation industrielle ». Moins précis dans ses engagements, Eric Zemmour, de son côté, propose de revoir l’engagement de la France dans les grands programmes d’armement européens « afin de faire prévaloir les intérêts de notre industrie de défense ».
Renforcer, nationaliser ou démanteler l’industrie de défense ?
De manière générale, les candidats d’extrême-droite veulent renforcer le budget de la défense et ses moyens. Eric Zemmour annonce une augmentation annuelle du budget de la défense jusqu’à 70 Md€ en 2030 « afin de moderniser nos forces nucléaires et conventionnelles et améliorer la capacité d’intervention de chacune de nos armées ». Il annonce deux porte-avions, vingt frégates, huit sous-marins nucléaires d’attaque et trois cents avions de chasse « afin de disposer d’une capacité de projection permanente à horizon 2040 ». S’y ajoutent de nombreux développements : planeur et missile hypersoniques, drones furtifs, capacités d’observation optiques et lasers spatiaux. Marine Le Pen vise un budget à 55 Md€ en 2027, avec 1,5 Md€ par an consacrés aux seules études amont, et assure qu’elle prendra la mesure de l’augmentation des stocks de munitions actuellement insuffisants pour soutenir un conflit de haute intensité.
Emmanuel Macron, lui, rappelle les engagements déjà pris : poursuite de l’objectif de 2 % du PIB pour le budget de défense et modernisation des armées d’ici 2030, avec, entre autres, la livraison de plus de 60 chasseurs Rafale supplémentaires et de cinq nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque. Les innovations de rupture ne sont pas oubliées : armes électromagnétiques, missiles hypersoniques, nanosatellites de surveillance spatiale…
Valérie Pécresse promet un renforcement de l’industrie de défense par « l’innovation et la commande publique européenne » tandis que Jean Lassalle, manifestement peu impressionné par le redressement des dernières années, veut « la rebâtir ». A contrario, Philippe Poutou demande « le démantèlement du complexe militaro-industriel ».
Fabien Roussel se démarque en imaginant la création d’un « pôle public des industries d’armement » auquel il appartiendra « de favoriser les recherches et fabrications civiles et militaires, de stopper les exportations toxiques, et de protéger les compétences nationales indispensables aux coopérations industrielles et de recherche qu’il conviendra de construire ». Il est rejoint par Jean Lassalle, pour qui « un certain nombre de re-nationalisations s’impose », et notamment celles des entreprises liées à la Défense nationale.
Exportations sous contrôle
Un plus grand contrôle sur les exportations de matériel militaire est un point de convergence des programmes de la gauche. Yannick Jadot annonce ainsi « une délégation parlementaire bicamérale pour le contrôle des exportations d’armes vers les pays extra-européens ». Il réclame une plus grande transparence et le renforcement des règles communautaires européennes actuelles, « en remplaçant la simple “position commune sur les exportations d’armes” par un texte juridiquement contraignant ».
Jean-Luc Mélenchon veut aller plus loin en dénonçant le secret qui entoure les délibérations de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre et instaurer « un contrôle a posteriori des exportations d’armements et des biens à double usage ». Marine Le Pen, au contraire prône « la défense affermie de l’exportation [de matériel militaire] », qu’elle considère comme une composante intégrante d’une diplomatie de défense.
Dissuasion et désarmement nucléaires
La guerre en Ukraine a mis en évidence l’importance mais aussi les limites de la dissuasion nucléaire dans la prévention et la limitation des conflits. Le statut de puissance nucléaire de la Russie dissuade l’Otan d’intervenir directement, mais c’est aussi le statut triplement nucléaire de l’Otan qui devrait dissuader la Russie d’étendre le conflit vers les pays qui ont rejoint l’alliance, notamment les pays baltes. Traditionnellement, le sujet n’est donc pas clivant, à part à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Le fait qu’Emmanuel Macron ait engagé le développement de la troisième génération de sous-marins nucléaires de la Force océanique stratégique, n’est donc pas remis en cause ouvertement par la plupart de ses rivaux.
Jean-Luc Mélenchon ne souhaite pas renoncer à la dissuasion nucléaire mais s’interroge sur sa crédibilité à long terme, avec le développement des systèmes antimissiles, des armes manœuvrantes hypervéloces et surtout la fin de l’indétectabilité des sous-marins nucléaires en plongée. Il demande donc l’étude de nouvelles technologies pouvant « ouvrir la voie à des stratégies dissuasives qui ne seraient pas nucléaires ». Il reconnaît aussi « la légitimité de l’approche des promoteurs de l’interdiction des armes nucléaires » et propose que la France rejoigne le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en tant qu’observateur.
Fabien Roussel estime aussi nécessaire de conserver une force de dissuasion nationale, « jusqu’à l’engagement d’un processus de désarmement nucléaire multilatéral et contrôlé ». Quant à Yannick Jadot, il veut faire du désarmement nucléaire multilatéral « une priorité du quinquennat » en organisant une conférence internationale sur le désarmement nucléaire et en y conviant les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël, mais pas la Corée du Nord.
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[…] L'agression russe en Ukraine a occulté le début de la campagne présidentielle mais elle a remis la question de la défense en avant. […]