Deux missiles ont été mis à feu de Plessetsk le 28 et le 30 octobre. Un RS-24 Yars a d’abord été tiré d’un silo et ses multiples ogives ont atteint le polygone de Koura dans la péninsule du Kamtchatka, à 5 750 km de là. Selon les sources officielles russes, il s’agissait de tester la fiabilité d’un lot de missiles fabriqués par AO Votkinsky Zavod, à Votkinsk dans l’Oural. Deux jours plus tard c’était le tour d’un RT-2PM Topol, également à destination de Koura. Dans le cadre du même exercice, un missile de croisière Kalibr a été tiré de la corvette « Veliki Oustioug », en mer Caspienne, ainsi qu’un missile à courte portée Iskander, sur le polygone de Kapoustine Iar, à 100 km à l’est de Volgograd.
Egalement le 30, deux sous-marins nucléaires, le K-117 « Bryansk » en mer de Barents et le K-223 « Podolsk » en mer d’Okhostsk, ont chacun tiré un missile balistique au dessus du pays. Un R-29RM Sineva a volé d’ouest en est vers Koura, puis un R-29R Volna a volé d’est en ouest, apparemment vers le polygone de Chija, dans la péninsule de Kanine.
En parallèle, des missiles de croisière ont été tirés par des bombardiers Tu-160 sur les polygones de Koura et de Pemboi, dans la république des Komis au nord de la Russie, ainsi que des missiles antinavires depuis des navires en mer Noire et des batteries côtières en Crimée.
Ces grandes manœuvres sont réalisées environ une fois par an par le Kremlin. Les précédentes éditions ont eu lieu le 8 mai 2014 et le 30 octobre 2013. L’édition 2015 coïncidait avec la réunion à Vienne des ministres des affaires étrangères de dix-sept pays – dont la Russie, les Etats-Unis, l’Iran, la Turquie et l’Arabie Saoudite, mais aussi la Chine, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni – pour évoquer la situation en Syrie, un mois après le début des frappes russes, qui ont notamment fait appel à 26 missiles Kalibr tirés par la flotte russe en mer Caspienne.
Mystérieuse opération chinoise
Le lendemain 31 octobre vers 23 h 00 TU, la Chine se livrait au dessus du Sinkiang à une opération aussi secrète que spectaculaire. Les trainées de manœuvres d’un missile dans la haute atmosphère ont été repérées et photographiées dans le ciel d’Ouroumtsi. Dans un premier temps elles ont été présentées par les médias chinois comme caractéristiques d’un essai d’interception d’un missile balistique similaires à ceux réalisés en janvier 2010, janvier 2013 et juillet 2014. Dans ce cas, un missile à courte portée B-611 pourrait avoir été lancé du cosmodrome de Jiuquan, en Mongolie Extérieure et un intercepteur SC-19 du polygone de Korla dans le désert de Gobi, à 1 100 km de là. Toutefois, selon des sources militaires américaines, il pourrait plutôt s’agir de l’essai d’un nouveau missile antisatellite Dong Neng 3. En 2014, le Pentagone avait déjà présenté le dernier essai antimissile comme un essai antisatellite. En l’absence d’information du côté chinois, il sera difficile d’en savoir plus sur ce test ou sur son résultat.
Antimissiles sur le Pacifique
La communication n’a pas manqué, en revanche, sur l’opération interarmes menée cinq heures plus tard sous l’égide de l’US Missile Defense Agency (MDA) qui s’est soldée par un succès. A quelques minutes d’intervalle, deux engins cibles ont été largués d’avions porteurs C-17A de l’US Air Force et mis à feu sous parachutes au sud-est de l’atoll de Wake dans l’océan Pacifique. Le premier était un SRALT (Short Range Air Launch Target) développé par L3 Coleman sur la base d’un moteur SR-19 (deuxième étage de Minuteman 2 et 3) et simulant un missile balistique de courte portée. Il a été intercepté avec succès par un antimissile Thaad tiré de l’atoll. Le second engin cible, un eMRBM (Extended Medium-range Ballistic Missile) composé de deux SR-19 et jouant le rôle d’un missile de plus longue portée, a été engagé simultanément par un Thaad tiré de Wake et par un SM-3-1B tiré du destroyer « USS John Paul Jones ». Le Thaad a réussi son interception tandis que le SM-3 a été victime d’une défaillance en début de vol. Le « John Paul Jones » a cependant intercepté un engin cible Northrop BQM-74E Chukar 3 simulant un missile de croisière à l’aide d’un SM-2-3A. Le Thaad et l’engin cible eMRBM ont tous deux été développés par Lockheed Martin alors que les SM-2 et 3 (Standard Missile) du système Aegis sont produits par Raytheon.
Cet exercice, désigné FTO-02 (Flight Test Operational) Event 2, a été planifié depuis 2011 et aurait coûté 230 M$. Le précédent test de cet ampleur, FTO-01, remonte au 11 septembre 2013 avec un SR-19/SR-19 tiré du sol à Wake et un eMRBM largué d’un C-17, tous deux à destination de Kwajalein. Ils avaient été interceptés par un Thaad et un SM‑3-1A. Cette fois là, c’était un second Thaad qui avait été victime d’une défaillance. FTO-02 E1 correspond à un essai d’interception avorté par un SM-3 tiré du sol (système Aegis Ashore) à Kauai après la défaillance d’un engin cible non identifié le 26 juin. Initialement, l’exercice FTO-02 devait aussi comprendre l’interception d’un missile intercontinental par le système GMD (Ground-Based Midcourse Defense), mais cet essai a été reporté à 2017.
Ces exercices sont censés démontrés les capacités de défense « multicouches » du système antimissile américain. Les critiques leur reprochent néanmoins leur faible représentativité par rapport à une situation réelle avec un nombre d’ogives et de leurres bien plus important à détecter, suivre et discriminer en temps réel. De plus, le Thaad n’a encore jamais été confronté à l’interception d’une ogive qui ne soit pas éclairée par le Soleil.
Trois missiles frappent Kwajalein
Pour être complet, on notera aussi que trois missiles balistiques américains ont été lancés. Un Minuteman 3 (GT-216GM) de Vandenberg a été tiré vers l’atoll de Kwajalein le 21 octobre. Il s’agissait du cinquième Minuteman de l’année, ce qui représente la plus forte cadence atteinte depuis 1998. Le 8 et le 9 novembre, deux Trident 2 D5 ont été tirés du sous-marin « USS Kentucky » (SSBN-737), au large de Point Mugu (Californie), à destination de Kwajalein. Ces deux derniers missiles ont permis de qualifier une avionique modernisée qui sera déployée en 2017 pour prolonger la durée du système Trident jusqu’en 2042.
Enfin, pour couronner ce qui aura été une quinzaine très active, l’Inde a procédé le 9 novembre au cinquième tir d’essai d’un missile balistique Agni 4 à partir du polygone Abdul Kalam sur Wheeler Island, dans le golfe du Bengale, vers une zone cible située à 4 000 km de là.
Ces campagnes demandant plusieurs années de préparation, il est plus que probable que leur concomitance soit plus l’effet du hasard qu’un choix politique délibéré. Elles participent néanmoins à une démonstration de forces de chaque puissance face aux autres dans un cadre géopolitique où chacune tente de peser, que ce soit dans la crise syrienne et ses développements, la situation en Ukraine ou les manœuvres américaines visant à contrecarrer la prise de contrôle de la mer de Chine du sud par Pékin.
Première interception sur le théâtre européen
Le 20 octobre, l’US Navy a accompli une interception antimissile au large de l’Ecosse dans le cadre de l’exercice ASD-15 (At Sea Demontration 2015) impliquant également les marines britannique, canadienne, espagnole, française (avec la FREMM « Aquitaine »), italienne, néerlandaise et norvégienne. La cible était une fusée-sonde Terrier-Orion, censée représenter un missile de courte portée tiré depuis le polygone des Hébrides. L’interception a été accomplie par un missile SM-3-1A tiré du destroyer « USS Ross ». C’était la première fois que le SM-3 était utilisé hors d’un polygone d’essais américain. L’exercice impliquait également l’interception de missiles antinavires simulés par des drones de type Mirach auxquels ont été opposés des Aster 30 de MBDA ainsi que des ESSM et SM-2 de Raytheon.
Cet article a été publié dans le numéro 0.1 d’Aerospatium, daté du 14 novembre 2015.