Si l’on en croit la locution italienne, toute traduction est une trahison de la pensée originale. C’est pourquoi l’art des interprètes est périlleux, notamment dans les enceintes internationales où la diplomatie use subtilement des conjugaisons et du vocabulaire pour faire passer des nuances complexes. Qu’on y glisse une pincée de mauvaise foi et la crise s’embrase. L’histoire est malheureusement riche d’exemples tragiques.
Quand, de retour d’un déplacement en Chine, le président français, héritier d’une tradition gaullienne, tente d’exprimer une pensée jésuitique à des journalistes américains, sans s’embarrasser d’innombrables rappels sur un contexte géopolitique censément maîtrisé par ses interlocuteurs, le dérapage est facile.
D’une volonté de ne pas suivre la surenchère américaine sur l’affrontement avec Pékin, afin de ménager des canaux de discussion et une marge de manœuvre nécessaires à la souveraineté européenne, les rédacteurs de Politico ont fait une défiance à l’égard de Washington aussitôt montée en épingle par tout ce que l’on compte de « French-bashers » outre-Atlantique, à commencer par l’ex-président Donald Trump.
On confine à l’absurde quand la presse française elle-même, convaincue que le président est démonétisé par la crise des retraites, ne commente pas ses propos originaux, mais les commentaires d’une traduction orientée. Pire, lorsqu’il s’exprime trois jours plus tard à La Haye sur la souveraineté européenne, elle ne retient que sa brève interruption par des militants. La notion de troisième voie qui permet de soutenir la Chine libre de Taïwan sans se placer en vassal des États-Unis est occultée.
« Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt », dit-on en Chine. Ici, rappeler à un public nourri de manichéisme bien-pensant la responsabilité qu’impose une autonomie stratégique européenne sera tâche ardue.
Quand on traine trop de casseroles, il n’est plus possible d’avancer.