À l’exception des deux derniers lanceurs Vega, l’Europe n’a plus d’accès autonome à l’espace et doit s’en remettre à d’autres pour assurer la continuité et la maintenance de son infrastructure spatiale ou pour lancer des missions qui ne sauraient plus attendre. Cette déplaisante situation n’est pas inédite. Elle s’est déjà produite chaque fois qu’Ariane a été clouée au sol pour une durée indéterminée à l’époque où une seule version était disponible… Ce qui n’était pas arrivé depuis près de trente ans.
La situation rappelle les années 1970, lorsque des satellites avaient été développés pour le lanceur Europa et que celui-ci avait été annulé après quatre échecs consécutifs. Parmi ces satellites, les deux Symphonie franco-allemands, premiers satellites de télécommunications géostationnaires européens, avaient été lancés par les États-Unis sous condition de ne pas fournir de liaisons internationales, apanage de la seule organisation Intelsat dominée par Washington. Le monde a changé depuis la présidence Nixon, mais la leçon reste claire : qui ne contrôle pas son accès à l’espace ne contrôle pas ce qu’il est en droit d’y faire.
La situation de la filière Ariane n’est pas isolée. Le Japon et United Launch Alliance vivent également une transition difficile entre deux générations de lanceurs, mais au moins devraient ils assurer un recouvrement qui a échoué en Europe.
SpaceX se retrouve aujourd’hui en situation de monopole, grâce à un système bien rôdé, maintenu à une cadence folle de 5 à 7 vols par mois par la mégaconstellation Starlink (56 % de ses lancements en 2022, 52 % depuis le début de l’année) dans des conditions économiques insoutenables pour des sociétés industrielles traditionnelles et cotées en bourse. Le modèle européen doit trouver les moyens de s’extraire de cette ornière et de ne jamais y retomber, tout en continuant de respecter les règles dont la société d’Elon Musk s’est affranchie.